Emmanuel Macron s’était déjà saisi du dossier des travailleurs détachés alors qu’il était à Bercy. Il s’agit donc d’un dossier qui lui tient à cœur … Le président a un certain courage car les pressions seront fortes de la part des pays concernés, Pologne, Roumanie, Bulgarie entre autres. On se souvient d’un commentaire acerbe du ministre polonais des finances, Mateusz Morawiecki, qui déclarait alors « Oui, le président français a raison de dire que l’Europe n’est pas un supermarché. Mais moi je ne voudrais pas que les banques françaises, les supermarchés français, puissent fonctionner chez nous sans restriction et que nos conducteurs routiers, nos ouvriers du bâtiment ou nos sociétés informatiques soient visés par des restrictions et des contraintes les empêchant de travailler » et d’ajouter « Nous nous battons dans l’arène mondiale, notamment à Bruxelles pour que nos sociétés soient traitées sur un pied d’égalité ». La Pologne, pays de l’Est le plus peuplé avec 38 millions d’habitants, vient une nouvelle fois de s’opposer à la révision de la directive européenne sur le travail détaché, qu’elle conteste notamment en ce qui concerne le transport routier.
Christian Kern, chancelier autrichien avec Emmanuel Macron
Le décor est planté et concernant la position française, la partie n’est pas gagnée, même si la majorité des pays de l’Union Européenne est favorable à un renforcement des contrôles et une règle qui ne laisse pas la place à une paupérisation des métiers concernés. Le chef de l’Etat ne se rendra pas en Pologne, mais souhaite engager le dialogue avec les roumains (jeudi 24) et les bulgares (vendredi 25). Déjà, Radu Dinescu, responsable de l’Union des transporteurs roumains (UNTRR) a déclaré que la position française n’était que du néoprotectionnisme alors que des dizaines de milliers de poids lourds immatriculés dans les pays de l’Est, appartenant parfois à des groupes de transports de l’Europe de l’Ouest, sillonnent nos routes.
Radu Dinescu secrétaire général UNTRR Roumanie
Aujourd’hui, Emmanuel Macron estime que la directive sur les travailleurs détachés « trahit » l’Europe. Ce mot fort montre la détermination française de sortir d’un état de fait néfaste au développement économique comme aux échanges entre les différents pays européens. Dès son arrivée à Salzbourg, en Autriche, il a pris la parole pour déclarer « Le but, c’est quoi ? Réduire la durée par rapport à ce qui est aujourd’hui en vigueur. Lutter contre toutes les utilisations abusives et en particulier les sociétés boîtes aux lettres qui contournent l’esprit de la directive. C’est d’avoir aussi un principe de juste rémunération : à travail égal, rémunération égale, en prenant en compte tous les efforts faits dans les pays d’origine. Et c’est d’avoir un renforcement des contrôles au niveau européen. Mais ce que nous avons acté tous les quatre, c’est de renforcer le partenariat dans les contrôles et donc d’agir de concert en développant des actions bilatérales réciproques en termes de renforcement des contrôles pour lutter contre le travail détaché abusif. » Les dirigeants tchèques et slovaques participaient à cette rencontre.
Jean-Marc Rivera secrétaire général OTRE
Au micro de RMC, invité de Jean-Jacques Bourdin, Jean-Marc Rivera, secrétaire général de l’OTRE, l’a rappelé au nom de la profession « Aujourd’hui, les contrôles sont insuffisants et les documents de transport sont sur des supports papier ce qui ne facilite pas les choses. Pour rétablir la concurrence, nous devons arriver à utiliser, pour tous les transporteurs en situation de transport international et pour les opérations de cabotage, des supports numériques. La généralisation des lettres de voiture électronique permettra une meilleure traçabilité de l’activité du véhicule et limitera drastiquement les fraudes possibles avec les documents papiers. Elle facilitera les conditions du contrôle en apportant un moyen simple et efficace de retracer l’activité du véhicule. La France doit maintenir une position ferme dans le cadre de la réforme du paquet mobilité. Le pire est sans doute à venir pour le pavillon français si nous assouplissons les règles actuelles. Il est par ailleurs très surprenant de constater que le projet de réforme du paquet mobilité proposé par la Commission Européenne n’apporte aucune réponse concrète à la question de l’efficience des contrôles, elle fixe tout juste des objectifs de contrôle bien dérisoires en fixant un seuil minimal de contrôle de 2% des transports de cabotage en 2020 porté à 3% en 2022. La mise en place du cabotage a faussé la concurrence compte tenu de la disparité des coûts ». Bruxelles envisage de considérer les chauffeurs comme des travailleurs détachés, bénéficiant d’un salaire local, à partir de trois jours de travail par mois dans un pays. Par contre, la France entend défendre la mise en place du salaire local dès le premier jour. Mais Madleine Kavrakova, avocate de l’Union bulgare des transporteurs internationaux n’est pas d’accord « Considérer les chauffeurs internationaux bulgares comme des travailleurs détachés porte un grave coup aux entreprises de transport. Une telle mesure retire l’avantage concurrentiel que les transporteurs d’Europe centrale et orientale ont grâce à leur structure de dépenses différente ».
Les lettres de transport doivent devenir électroniques
Elle est rejointe par Gueorgui Tsanov propriétaire d’une entreprise bulgare de 45 camions « La France a un niveau de vie beaucoup plus élevé que la Bulgarie et, par conséquent, nous n’acceptons pas l’imposition de ces tarifs artificiellement par une loi ou une réglementation européenne. Nous savons tous qu’en Bulgarie, un chauffeur gagne un salaire entre 1500 et 2000 euros, tandis qu’en France, le salaire du conducteur se situe entre 2000 et 3000 euros par mois. Je paie 50 euros à mes chauffeurs. Je ne peux pas les payer 80 euros tels que les tarifs en France, en Allemagne, en Autriche et en Italie. Alors, mon entreprise perdra 1350 euros par jour. C’est la situation dans laquelle se trouvera 70 000 camions bulgares transportant des marchandises en Europe. »
Inpressionnante file de poids-lourds sur une autoroute autrichienne
Entrées dans l’Union Européenne en 2009, la Roumanie comme la Bulgarie sont en phase de développement, mais restent les pays les plus pauvres de l’UE. Ainsi, Radu Dinescu (UNTRR) rappelle « le salaire minimum roumain est proportionnel au niveau de développement du pays. Nous aimerions tous qu’il soit quatre fois plus élevé, mais nous avons encore beaucoup de travail à faire pour combler cet écart. » Aujourd’hui, nous en sommes à une phase transitoire où les points de vue doivent se rapprocher. En France, le 27 juillet dernier a eu lieu, au Sénat, la commission des affaires européennes, présidée par le Républicain M. Jean Bizet où ont été examinés trois textes concernant les conditions d’exercice du métier de transporteur routier, contenus dans le paquet « Europe en mouvement » présenté par la Commission européenne le 31 mai dernier. Ces textes, qui doivent conduire à une application des normes européennes en matière de détachement des travailleurs, vise également à lutter contre les entreprises de domiciliation et limiter la concurrence déloyale des véhicules utilitaires légers de moins de 3,5 tonnes.
Les 3,5 tonnes sillonnent l’Europe sans contrainte, ici à Barcelone
Durant la commission, M. Jean Bizet a relevé que « la rédaction proposée reste en deçà de la législation française qui prévoit une application du salaire minimum du pays d’accueil dès le premier jour d’entrée sur le territoire national ». La Commission européenne ne prévoit en effet une application intégrale des normes sociales du pays d’accueil que pour les opérations de cabotage, soit généralement à l’issue de la livraison internationale. Cet alignement est cependant compensé par une libéralisation des opérations de cabotage : à l’issue d’une opération de transport international et dans un délai de cinq jours – contre sept auparavant –, le chauffeur pourra effectuer autant de livraisons qu’il le souhaite, contre trois auparavant.
Les contrôles doivent être plus nombreux
Comme l’a relevé Jean Bizet. « La distance moyenne d’une livraison en France pour un transporteur national est estimée à environ 300 kilomètres. En cinq jours, il sera donc facile d’en faire plus que trois, au risque de déstabiliser un peu plus les entreprises locales. Il convient de rappeler qu’à l’origine la réglementation européenne sur le cabotage vise à éviter les retours à vide et à alléger ainsi le coût pour l’environnement. Il ne s’agissait pas de libéraliser totalement le secteur. Ce que propose un peu plus aujourd’hui la Commission ». La commission des affaires européennes du Sénat a adopté un texte qui insiste sur la mise en place d’une liste ouverte d’exigences administratives et de contrôles, afin d’être le plus réactif possible face aux fraudeurs. En France, en Europe, Est, Ouest, il reste une longue route à parcourir avant de contenter tout le monde …
Le sénateur Jean Bizet