Directrice générale de transport Sudre en Vendée, Angelique Assimot a conduit depuis le printemps 2019 une informatisation complète de son entreprise : télématique, TMS et logiciel de parc. Elle explique sa méthodologie, les difficultés rencontrées, mais témoigne surtout d’une meilleure vision sur sa rentabilité. Avec un objectif : affiner l’analyse de ses coûts pour ajuster ses prix de transport.
TRM le Guide : Parlez-nous d’abord un peu de votre entreprise familiale, et de la genèse de votre projet informatique.
Angelique Assimot : L’entreprise a été créée par mon père Joël Sudre en 1989, au moyen d’un camion puis de deux… Sudre était d’abord spécialisé sur l’Espagne, avec un établissement à Irun s’ajoutant au siège de Mouzeuil St Martin (85). En 2017, mon frère et mon mari Manuel Assimot, ainsi que Kelly au service RH et moi-même nous avons repris l’entreprise.
À l’époque, Sudre était très peu informatisée. Nous utilisions uniquement le logiciel de facturation Transmagic. Les exploitants travaillaient à la main ou sur Excel. En 2018, nous avons lancé un projet d’acquisition d’un TMS, avec l’accompagnement du cabinet de conseil Performance (dirigé par Christelle Bretaudeau). Sur la base d’un premier cahier des charges, nous avons retenu les éditeurs Andsoft, GPI et OMP. Une vingtaine de collaborateurs a participé à la démarche. Chacun a testé les fonctions qui le concernait directement. Au final, nous avons retenu GPI, presque à l’unanimité des exploitants. J’avais pour ma part une préférence pour OMP, mais je me suis rangée à la majorité. Nous avons donc investi dans le TMS GPI d’Artagnan et GPI Parc. Le démarrage a eu lieu en avril 2019.
Vous avez également investi dans une solution télématique…
Parallèlement, nous avons renouvelé notre informatique embarquée, et avons choisi Trimble. Le déploiement sur nos 118 tracteurs des tablettes FleetXPS associées aux boîtiers Truck4U a commencé en mai 2019. Une connexion a bien été réalisée entre d’Artagnan et Trimble, mais nous constatons encore aujourd’hui quelques défauts dans les transmissions des feuilles de route, notamment dans les zones mal couvertes, ainsi que dans le retour d’information.
Les interfaces, ce n’est pas si simple ! Il ne faut pas non plus sous-estimer le temps d’apprentissage des conducteurs et des exploitants à ces nouvelles fonctions. L’envoi automatisé des missions, la prise de photographies en cas de litiges et la remontée dans le TMS… Tous ces processus demandent un accompagnement de nos collaborateurs et des relances aux éditeurs quand un bug se présente.
Beaucoup d’entreprises sous-estiment les difficultés de la conduite du changement d’un système d’information…
C’est pourquoi un tel projet nécessite l’implication quotidienne d’un responsable, en l’occurrence moi-même ! J’ai accompagné toutes les formations, pour pouvoir régler les questions courantes. Parmi les exploitants, je me suis aperçu que la plupart n’avaient pas pris de notes lors des présentations ! En fait, ils ne s’étaient pas vraiment projetés dans le concret de la gestion de flotte informatisée. Sauf que le jour J, au 1er avril 2019, ce n’était pas un poisson ! Nous avons démarré d’un coup sur le TMS. Heureusement que Benoît, le formateur de GPI, était encore dans nos locaux… Plein de nouvelles questions sont apparues.
En effet, selon le technicien Benoît, les difficultés rencontrées chez Sudre sont monnaie courante dans les exploitations de transport. La résistance au changement peut provoquer une inertie épuisante. La pression quotidienne sur les gestionnaires est telle qu’il leur est difficile d’anticiper, de se préparer à un nouveau processus. Pas étonnant qu’ils aient d’abord considéré le logiciel comme une nouvelle charge de travail. Du jour au lendemain, les exploitants sont passés du papier au TMS.
Dans une deuxième phase, votre exploitation s’est-elle habituée à un processus informatisé ?
Les mois passant, les gestionnaires ont appris à apprécier leur nouvel outil. Ils peuvent aujourd’hui plus facilement organiser et apporter des modifications au planning. Les diverses recherches sont simplifiées. A la facturation, nos collaboratrices sont encore plus enthousiastes. Elles ne reviendraient au papier pour rien au monde !
En outre, nous atteignons un niveau d’analyse de nos flux inconnu chez Sudre jusqu’alors. Ce qui est indispensable pour orienter la stratégie de l’entreprise sur tel ou tel secteur. En effet, nous avons des activités variées : le groupage en tauliner, le transport frigorifique, le plateau et le vrac avec des bennes à fond mouvant —nous avons d’ailleurs intégré le groupement France benne en 2019.
D’un domaine à l’autre, il a fallu paramétrer le planning en fonction de chaque exploitant, des colonnes nécessaires, selon les habitudes de travail des uns et des autres. Pendant un certain temps, les gestionnaires ont conservé Excel en parallèle. Certains avaient peur d’oublier un transport. C’est encore un peu le cas aujourd’hui, mais vraiment à la marge.
Comment opérez-vous les échanges d’informations avec vos clients ?
Nous utilisons pas d’EDI. Les commandes arrivent par téléphone, fax numérisé ou e-mail. Il faut bien constater que nos clients ne nous engagent pas à informatiser les échanges. Un fonctionnement manuel et oral leur paraît plus flexible, pour ajuster un envoi, annuler ou ajouter un camion en dernière minute en fonction des quantités ramassées (dans le cadre du transport frigorifique agricole par exemple). A la facturation, beaucoup nous demandent encore un exemplaire papier joint à l’original de la preuve de livraison.
Parallèlement, côté cabine, nous avons dématérialisé les lettres de voiture. Celles-ci sont numérisées avec un scanner embarquée, ou prises en photo, selon les chauffeurs. Après un an de pratique, le processus est bien assimilé. Nous avons souffert de problèmes de manipulation au début… Je me retrouvais avec des moitiés de lettre de voiture scannées. Mais au final, lorsqu’un litige se présente, et que l’on peut envoyer la preuve de livraison à un client en quelques minutes, on gagne vraiment du temps.
Outre ces bouleversements organisationnels de l’exploitation au personnel roulant, vous avez fait évoluer votre gestion de parc…
En effet, nous utilisons le logiciel GPI Parc depuis janvier 2019. Nous pouvons aujourd’hui connaître le détail de nos coûts par tracteur. Chaque pièce commandée, chaque ordre de réparation est associé à une immatriculation. Lorsqu’un mécanicien commence à œuvrer sur un véhicule, il utilise une “douchette” pour scanner les pièces et enregistrer son temps de travail. Cela permet d’estimer le coût de l’opération.
Le logiciel de parc apporte-t-il également une aide au choix des véhicules ?
Tout à fait. Nous remontons aujourd’hui les informations de carburant de deux manières. Nos conducteurs utilisent des cartes AS24 dont les factures sont intégrées dans le logiciel de parc GPI tous les 15 jours. Nous disposons également d’une cuve interne sur le site de Irun. À chaque plein, nos conducteurs renseignent le kilométrage. Les immatriculations et les volumes de gasoil sont enregistrés dans l’informatique chaque nuit.
Effectivement, nous avons ainsi pu pointer des surconsommations et engager un renouvellement de notre flotte — un peu âgée et historiquement 100% Volvo. Notre cabinet Performance a conduit un appel d’offres, remporté par Mercedes-Benz et Scania. Il faut préciser que les achats de véhicules sont associés à une obligation de reprise après cinq ans, avec un tarif défini. Dans le contexte actuel de la crise sanitaire, où la visibilité économique est minimale même à court terme, cet engagement est rassurant. Ce critère fut décisif dans le choix des constructeurs.
Avez-vous pu mesurer des économies de carburant ?
Nous avons déjà gagné un minimum de 2 l/100 km sur nombre de camions, et ce n’est qu’un début. Nous allons maintenant engager une politique de formation pour une montée en performance des conducteurs. Ma collaboratrice Magali édite chaque mois un compte rendu des consommations par véhicule. Lesquels sont transmis à Manuel auprès des chauffeurs. D’ailleurs, avec le Covid, lorsque notre activité a fortement diminué, nous avons pu arrêter en priorité les conducteurs les plus consommants…
Utilisez-vous l’informatique embarquée Trimble et les profils de conduite pour challenger les conducteurs ?
C’est notre intention, mais nous avons un souci de fiabilité des informations transmises des constructeurs aux ordinateurs de bord. Selon les marques et les types de véhicules, les consommations en temps réel sont plus ou moins exactes, voire inexploitables sur certains camions Scania par exemple.
Il semble en effet que les constructeurs tiennent à garder la main sur des données qu’ils considèrent comme les leurs, mais aussi dans le but de vendre leur propre solution d’informatique embarquée…
Sans doute, mais il n’est pas question pour les transporteurs d’investir dans une double informatique embarquée, ni de multiplier les systèmes inhérents à chaque marque de poids lourds.
Pour revenir à l’exploitation et aux avantages d’une organisation informatisée, quel bilan tirez-vous après 18 mois ?
Quand je peux obtenir mon chiffre d’affaires par conducteur, par client, par tournée, je suis heureuse ! Encore faut-il que l’exploitant saisisse les données correctement sur le TMS… Nous sommes encore en phase de progression sur l’analyse des données et le paramétrage du logiciel. Régulièrement, je téléphone à GPI pour obtenir un indicateur supplémentaire. Un technicien prend la main sur mon poste et s’occupe de l’opération. C’est pratique.
Avez-vous déjà pu arbitrer le développement ou le freinage d’une activité selon sa rentabilité ?
Tout à fait, même si la négociation n’est pas toujours évidente auprès des exploitants qui tiennent à leurs clients ! Sur d’Artagnan, en cas d’impayés ou de retards de paiement récurrents par exemple, j’ai la possibilité d’interdire la saisie des commandes d’un client sur toutes nos exploitations, grâce à une base de données unique. Je suis la seule à pouvoir utiliser cette fonction de véto.
Avez-vous d’autres projets technico-commerciaux pour les mois à venir ?
L’objectif de toute cette informatique embarquée, associée au TMS et au logiciel de parc, est d’affiner l’analyse de nos coûts pour ajuster nos prix de transport. Et d’arrêter les flux les moins rentables. Parallèlement, nous recherchons un commercial dans l’objectif de servir de plus en plus de clients en direct, et d’augmenter nos marges.
Après un an de mise en place, et de statistiques accumulées, enfin exploitables, l’arrivée du Covid a malheureusement bouleversé nos projets de restructuration. Nous avons perdu 30 % de chiffre d’affaires pendant quelques mois, et les données 2020 ne sont plus comparables avec 2019.
En juin, notre activité est repartie, et puis c’est bientôt la récolte des petits pois, des haricots verts qui arrive… Mais à l’horizon du mois de septembre, nous sommes moyennement optimistes. Nous voyons beaucoup d’entreprises prêtes à fermer. Je suis néanmoins satisfaite d’avoir déjà opéré cette transformation informatique, et d’être ainsi mieux préparée à affronter les épreuves qui nous attendent.
Interview réalisée par Wilfried Maisy en juin 2020
©Wilfried Maisy / sensimages.fr
Transports Sudre, faits et chiffres
Siège : Mouzeuil St Martin (85)
1989 : Création de la Sarl Transports Sudre avec un seul véhicule
1993 : Seuil des 20 salariés
1995 : Transformation de la société en SA
1998 : Création de Sudre Iberica en Espagne
2001 : Seuil des 50 salariés
2004 : Transformation en SAS
2006 : Palme du transport
2010 : Seuil des 100 salariés
2012 : Fusion-absorption de la société Sudre Iberica