Voici une belle réussite pour Alain Vidalies, secrétaire d’Etat français aux transports, qui bataille depuis des mois pour faire bouger les lignes dans une Europe où le bras de fer Ouest-Est est orchestré par une administration centrale et une commissaire, Violeta Bulc, coincée entre des visions opposées de la dynamique économique … et d’une concurrence saine et respectueuse. Ses oreilles ont dû siffler ! A l’issue de la conférence, baptisée « Alliance du Routier » des neuf ministres des transports, le mardi 31 janvier, le point presse a été l’occasion pour chacun d’eux de donner son opinion et de remercier chaleureusement Alain Vidalies, qui ne boudait pas son plaisir, pour son insistance à organiser une réunion, qui, aux dires de tous, a été une réussite. Notre ministre a clairement parlé d’une ferme volonté de ne plus accepter d’espaces de non-droit et de combattre des pratiques anti-concurrentielles qui tirent vers le bas toute une profession. « Il faut en finir avec l’Europe des parkings où des forçats de la route passent leur temps de repos au lien de rentrer chez eux » a-t-il martelé dénonçant une incapacité de l’Europe de faire respecter des règles pourtant établies.
Protocolaire mais importante séance de signatures
Le discours du ministre est ferme mais il laisse la porte ouverte aux pays de bonne volonté et appelle à un retour rapide de la commission européenne qui, pour l’instant, s’est contentée de sanctionner l’Allemagne et la France … « La force et l’avenir de l’Union européenne reposent tant sur son marché unique que sur le respect des droits fondamentaux notamment sociaux. Cette revendication est d’autant plus importante à un moment où la montée des populismes dans beaucoup de pays d’Europe renforce le doute dans la construction européenne. Nous souhaitons avancer plus rapidement sur le chemin d’une Europe intégrée dans laquelle le transport routier de marchandises s’effectuerait dans une zone économique où la concurrence serait équitable et saine entre les acteurs économiques, où les droits sociaux des travailleurs seront mieux garantis, et où la sécurité des conducteurs et des usagers de la route serait mieux prise en compte. » Voici le résumé de la bouche d’Alain Vidalie. Ces collègues le suivent d’un même pas (Belgique, Danemark, Allemagne, Italie, Luxembourg, Norvège et Suède).
François Bellot, Belgique
Chaque pays peut avancer ses propres exemples. Ainsi François Bellot, ministre belge de la Mobilité rappelle qu’en 10 ans seulement, les entreprises de son pays ont perdu 50% de parts de marché « Il suffit de se placer aux entrées des ports d’Anvers ou de Rotterdam pour s’apercevoir du nombre exponentiel des camions qui viennent des pays de l’Est. Nous sommes un petit pays, il est facile d’y entrer et d’en sortir en moins d’une journée. Nous souhaitons mettre en place des outils de contrôle plus efficaces dont nous ferons profiter les autres pays ». Son collègue allemand, Alexander Dobrindt, ministre fédéral des Transports et des Infrastructures numériques confirme « Sur la totalité des contrôles que nous effectuons, nous relevons 30% de fraudes. Nous voulons que les mesures à prendre soient européennes, pas nationales, et qu’elles soient appliquées. C’est trop facile de vouloir sanctionner notre pays alors que le mal est ailleurs. Il ne faut pas s’aligner par le bas et respecter les conducteurs routiers qui font un métier difficile. »
Alexandre Dobrindt, Allemagne
Simona Vicari, sous-secrétaire d’Etat pour les infrastructures et les transports approuve « Notre mémorandum est de très bonne qualité et représente un bon travail. Il permet de prendre en compte des objectifs de manière technologique pour une meilleure sécurité dans les transports et une amélioration des conditions sociales ». Alain Vidalies s’empresse de rappeler qu’il était arrivé un jour à une réunion des ministres européens des transports avec un chronotachygraphe trafiqué « Ce n’était pas une petite tromperie d’un petit transporteur, mais une véritable organisation criminelle. Lorsque le fonctionnaire voulait relever les informations légales, le système basculé sur des données mensongères. Les systèmes doivent évoluer pour être inviolables ». C’est prévu, mais dans un délai beaucoup trop long pour le ministre.
Simona Vicari, Italie et Alain Vidalies
Aujourd’hui, Alain Vidalies et ses collègues espèrent le ralliement d’autres pays de l’Union, 9 sur 27 ce n’est pas suffisant, mais aussi une prise de position claire de la commission européenne. Tous les sujets doivent être traités pour redonner ses lettres de noblesse au transport routier de marchandises, y compris par une sévère réglementation de tous ces utilitaires légers qui sillonnent nos routes au détriment de toutes règles économiques, sociales et de sécurité.
La concurrence déloyale commence ici …
Voici le texte signé, point de départ, comme le souhaite la profession, d’une refonte des règles du transport routier à l’échelle d’un continent.
« ALLIANCE DU ROUTIER »
Pour un plan d’actions commun en faveur d’un marché unique du transport routier qui garantisse mieux les droits sociaux fondamentaux et des contrôles plus efficaces
Réunion de ministres européens chargés des transports – Paris, le 31 janvier 2017
La force et l’avenir de l’Union européenne reposent tant sur son marché unique que sur le respect des droits fondamentaux notamment sociaux. Cette revendication est d’autant plus importante à un moment où la montée des populismes dans beaucoup de pays d’Europe renforce le doute dans la construction européenne.
Nous souhaitons avancer plus rapidement sur le chemin d’une Europe intégrée dans laquelle le transport routier de marchandises s’effectuerait dans une zone économique où la concurrence serait équitable et saine entre les acteurs économiques, où les droits sociaux des travailleurs seront mieux garantis, et où la sécurité des conducteurs et des usagers de la route serait mieux prise en compte.
Pour cette raison, nous, ministres chargés des transports d’Autriche, Belgique, Danemark, France, Allemagne, Italie, Luxembourg, Norvège et Suède, souhaitons adresser aux citoyens le message clair suivant lequel la coopération au sein de l’Europe produit des résultats constructifs.
Cette Alliance du routier, dans le respect du droit européen existant, permettra de :
- Faire converger certaines mesures d’application de la réglementation européenne, notamment sociales, pour faciliter leur mise en œuvre par les opérateurs.
- Améliorer nos pratiques de contrôle sur la base de nos expériences mutuelles et renforcer notre coopération pour rendre plus efficace la lutte contre la fraude aux règles sociales, de sécurité et du travail et contre les pratiques abusives.
- Définir des positions communes pour l’avenir de la politique européenne du transport routier visant à :
– Lutter contre le dumping social et promouvoir une concurrence loyale. A cet égard :
- Toute discussion sur l’approfondissement de la libéralisation du marché du transport routier, notamment en matière de cabotage, ne pourra être envisagée que si l’harmonisation de la législation sociale pertinente en matière de transport routier a été mise en œuvre ;
- Le cadre législatif relatif aux temps de conduite et de repos doit garantir un haut niveau de protection et ne saurait être affaiblie ;
- Promouvoir des mécanismes plus efficaces de coordination et de mise en œuvre des contrôles, pour vérifier, en pratique, la bonne application des règles applicables au secteur.
- Revaloriser le métier de conducteur routier, alors que, par ailleurs, de nombreux Etats membres sont frappés de pénurie de main d’œuvre.
– Prendre en compte les impacts sur la sécurité routière comme priorité dans la politique européenne du transport routier notamment par :
- Le renforcement de la sécurité des véhicules affectés au transport de marchandises ;
- La promotion d’un plus grand respect et de compréhension entre conducteurs de véhicules légers et de véhicules lourds ;
Dans cet esprit, cette « Alliance du Routier » inclut des mesures visant, d’une part, à harmoniser certaines mesures réglementaires nationales propres à chacun des Etats participant à l’Alliance du Routier et, d’autre part, à coordonner et améliorer les pratiques de contrôle pour lutter plus efficacement contre les fraudes. Ces mesures sont les suivantes :
– Mesure n° 1 : Mettre en place des mesures garantissant le droit du conducteur à un équilibre entre vie professionnelle et vie privée
Face à la présence massive le week-end de véhicules dans des pays d’accueil appartenant à des entreprises de transport non établies sur le territoire de ces pays, à l’intérieur desquels les conducteurs prennent leur repos hebdomadaire normal, plusieurs mesures sont à disposition en lien avec le règlement n°561/2006:
- Sanctionner cette pratique et/ou ;
- Sanctionner les entreprises qui ne mettent pas en place une organisation du travail permettant à leurs conducteurs de se conformer à la réglementation et/ou ;
- Promouvoir, au niveau national et européen, l’adoption de nouvelles pratiques destinées à ce que les employeurs permettent aux conducteurs effectuant des cycles de travail hors du pays où ils disposent du centre de leurs intérêts principaux, et à faciliter leur retour au minimum à l’occasion du repos hebdomadaire normal.
Certains Etats membres ont déjà adopté de telles mesures et d’autres les envisagent. La valeur ajoutée de ces mesures est triple : permettre au conducteur de bénéficier d’un équilibre entre vie professionnelle et vie privée en favorisant le retour au lieu où se trouvent ses intérêts principaux, mettre fin aux conditions de vie dégradantes sur les aires de stationnement et contribuer à la restauration d’une concurrence plus équilibrée en empêchant ainsi les entreprises de transport non établies d’enchaîner des cycles d’opérations de plusieurs mois, avec les mêmes conducteurs, en dehors de leurs pays d’origine. Une autre mesure efficace pour atteindre cet objectif peut aussi être de vérifier l’application en pratique de la législation de l’UE selon laquelle le conducteur doit être payé en fonction de son temps de travail et non au forfait, pour une opération de transport.
– Mesure n° 2 : Renforcer les mesures concernant les véhicules utilitaires légers impliqués dans le transport international de marchandises.
Il est constaté qu’un nombre croissant d’opérateurs non établis effectuent, au moyen de véhicules d’une masse maximale autorisée inférieure ou égale à 3,5 tonnes, de nombreuses prestations de transport routier de marchandises pour le compte d’autrui s’analysant comme des opérations de transport international et de cabotage par route.
Cette situation ne porte pas seulement atteinte aux conditions d’une saine concurrence, elle est également porteuse de risques pour la sécurité routière dans la mesure où il n’existe aucune garantie que les exploitants de ces véhicules soient des professionnels bien formés.
Afin de garantir une concurrence saine et sûre et pour éviter le contournement des règles applicables aux poids-lourds, des mesures devraient être prises en compte, telles que doter les véhicules utilitaires légers d’un statut s’inspirant de celui porté par la législation européenne afin de les assujettir aux quatre conditions d’accès à la profession, moyennant des adaptations spécifiques portant sur les capacités.
– Mesure n° 3 : Faciliter le recours à des lettres de voiture numériques (e-CMR) par l’encouragement à l’adhésion au protocole additionnel à la convention de l’ONU relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR) (19 mai 1956) en faveur de la reconnaissance des e-CMR.
Afin, d’une part, d’améliorer la compétitivité des entreprises de transport routier de marchandises en allégeant la charge de travail administratif qui pèse sur elles et, d’autre part, de rendre plus performantes les pratiques de contrôle, il est souhaitable de procéder à la dématérialisation des documents de transport que constituent les lettres de voiture. Ces dernières formalisent la relation contractuelle unissant l’expéditeur de fret au transporteur et doivent se trouver à bord du véhicule pour être présentées à l’occasion des contrôles.
Certains Etats membres ont ratifié le protocole additionnel (e-CMR) à la convention de l’ONU relative au contrat de transport international de marchandises par route (dite Convention CMR). Toutefois, ce n’est pas le cas de tous les Etats membres.
Il importe donc que le plus grand nombre d’Etats membres adhèrent à ce protocole additionnel, de manière à créer une aire géographique continue de dématérialisation des documents de transport, dans laquelle aura vocation à se concentrer une grande part des opérations de transport routier de marchandises effectuées en Europe.
Ceci devrait être réalisé en garantissant la fiabilité et la sécurité des lettres de voiture électroniques, par exemple au moyen de projets pilotes, d’évaluations et d’échanges d’expériences.
– Mesure n° 4 : Echanger les données les plus pertinentes issues des corps de contrôles nationaux pour profiter des retours d’expérience et mieux cibler les contrôles.
Le transport routier étant par essence une activité économique mobile, itinérante et transnationale, il est essentiel que soit amélioré l’échange d’information entre autorités nationales de contrôle.
Ainsi, dans le respect de la législation sur la protection des données personnelles, il serait d’un grand bénéfice d’échanger les informations sur les infractions, par exemple celles contenues dans les dispositifs nationaux de classifications des entreprises par facteurs de risques (RRS), outil aujourd’hui sous-exploité.
– Mesure n° 5 : Partager des initiatives innovantes ciblant l’évaluation du cabotage ainsi que les systèmes de contrôle qui garantissent un transport de haute qualité au profit d’entreprises exemplaires.
La fiabilité et la qualité des statistiques existantes de cabotage ne sont pas satisfaisantes. Il conviendrait d’améliorer la qualité du système de collecte de données existant en renforçant l’application des obligations existantes en matière de rapportage et de rechercher de nouvelles méthodes permettant d’obtenir des statistiques fiables. Cela constituerait la base d’une discussion éclairée sur l’évolution du marché du transport routier de marchandises.
L’intensité du contrôle pourrait faire l’objet de modulation en fonction de la récurrence des infractions commises par les entreprises sur une période donnée. Certains Etats membres ont d’ores et déjà commencé à développer de tels dispositifs et il pourrait être intéressant de partager leur expérience.
– Mesure n° 6 : Renforcer les échanges sur les modalités pratiques nationales de contrôle dans la lutte contre la fraude en s’appuyant sur les structures multilatérales existantes.
Il est important de soutenir le développement de la coopération au sein d’organisations de coopération européennes comme le réseau européen de police routière (TISPOL) ou Euro contrôle route (ECR), cette dernière étant actuellement en cours de transformation en groupement européen de coopération territoriale (GECT). Ce nouveau statut lui permettra de renforcer ses moyens d’action, notamment pour accueillir de nouveaux Etats et pour promouvoir des actions communes et de coopération dans les politiques de contrôle.
ECR a d’ores et déjà montré toute sa pertinence en permettant, d’une part, des échanges rapprochés et fluides entre Etats participants sur les enjeux du contrôle et, d’autre part, en développant des actions communes de formation, d’expertise dans la détection et la lutte contre les fraudes, ou encore
d’opérations de contrôle conjointes. Il serait intéressant de développer les échanges d’informations entre autorités nationales sur les résultats des contrôles et leur exploitation.
La plateforme européenne contre le travail non déclaré1 constitue un outil qui pourrait avantageusement être activé afin de renforcer la coopération entre les services des pays de l’Union européenne en matière de transport routier. Cette plateforme permettra d’échanger des informations, de mener des opérations communes contre le travail non déclaré, notamment pour ce qui concerne le travail transfrontalier.
1 Décision (UE) 2016/344 du Parlement européen et du Conseil établissant une plate-forme européenne afin de renforcer la coopération dans la lutte contre le travail non déclaré.
– Mesure n° 7 : Développer des échanges transfrontaliers pour une surveillance renforcée de l’application des règles applicables au transport routier, notamment pour investiguer les processus complexes que sont les fraudes à l’établissement (entreprises « boîtes aux lettres ») et les fraudes au tachygraphe.
Les fraudes sophistiquées requièrent des moyens d’investigation complexes justifiant d’associer l’expertise d’autorités de contrôle de plusieurs Etats membres.
– C’est en premier lieu le cas des fraudes à l’établissement où l’identification des mécanismes, souvent complexes, ayant conduit à la constitution d’entreprises « boîtes aux lettres » requiert des enquêtes approfondies à la fois dans le pays d’immatriculation du siège de l’entreprise et dans le (ou les pays) où des filiales ont été indûment immatriculées.
– C’est en second lieu le cas des fraudes aux tachygraphes pour lesquelles le haut degré de sophistication dans le dispositif altérant l’appareil de contrôle nécessite bien souvent l’échange de savoir-faire entre contrôleurs de plusieurs pays.
– Troisièmement, afin de faciliter et d’assurer des contrôles efficaces, il est envisagé de raccourcir sensiblement la période de transition pour l’utilisation du tachygraphe intelligent (règlement européen n ° 165/2014)
– Mesure n° 8 : Défendre une position commune au sein des instances du Forum International des Transports (FIT – CEMT) afin de garantir la pérennité d’un dispositif pour une évolution maîtrisée du marché.
Alors que les travaux menés sous l’égide de l’Union européenne conduisent nombre d’Etats membres à refuser une ouverture du marché sans contrepartie en matière d’harmonisation sociale, il serait préjudiciable à l’ensemble des transporteurs routiers de voir le contingent multilatéral CEMT déplafonné.
Un tel déplafonnement profiterait en premier lieu aux transporteurs extra communautaires et, par l’accès renforcé qu’il leur permettrait au territoire de l’Union, pourrait entrainer une augmentation des pratiques de dumping social et porterait gravement atteinte à la compétitivité des transporteurs européens.
La situation actuelle qui perpétue, sans supervision, la libre circulation à l’intérieur de l’UE des véhicules utilitaires légers provenant de pays tiers n’est plus acceptable