Comme en introduction à l’intervention tant attendue du président de la République lundi 10 décembre, la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) s’alarme des conséquences induites par plusieurs semaines de blocages et de manifestations, parfois violentes, sur les artisans, TPE et PME. Les premiers résultats d’une étude CPME réalisée du 4 au 7 décembre, regroupant le témoignage de 1710 dirigeants, montrent que, pour 62 % d’entre eux, le mouvement des gilets jaunes a eu un impact sur leur activité, toutes zones géographiques et tous secteurs d’activité confondus. Il s’agit essentiellement de pertes de chiffre d’affaires ou de retards de livraison. Quand il y a perte de chiffre d’affaires, dans 21 % des cas, la baisse sur le mois de novembre est supérieure à 20 %. En outre, quelle que soit la perte, elle ne pourra pas être rattrapée, selon 91% des patrons interrogés au cours des prochaines semaines. « De fait, il est souhaitable que la paralysie du pays cesse rapidement, sous peine d’un impact désastreux et irréversible sur l’économie. 30 % des dirigeants craignent en effet pour la survie de leur activité si le mouvement devait perdurer. »
Du côté du transport routier, le ras-le-bol est à son comble dans toutes les régions. Comment les chefs d’entreprise et leurs conducteurs peuvent-ils rester, jour après jour, sans perspective d’amélioration sous la dictature des gilets jaunes « Tu klaxonnes, tu passes, tu n’obtempères pas immédiatement, les phares peuvent être cassés » constate dépité un conducteur, témoin d’événements inadmissibles, qui n’est pas rentré chez lui de la semaine pour cause de blocages et de retards de livraison ». Parfois, il y a des scènes surréalistes. Ainsi dans la région lyonnaise un transport d’animaux est bloqué, une discussion s’engage « ça se passe mal entre les gilets jaunes et le conducteur qui a la responsabilité d’êtres vivants. Après s’être expliqué durant un long moment et afin de débloquer la situation, il ouvre l’arrière du camion déploie la rampe, et fait sortir un jeune taureau reproducteur, animal fougueux s’il en est … Les manifestants ont été très surpris et n’ont pas attendu longtemps avant d’autoriser le conducteur à poursuivre sa route » raconte Jean-Claude Gautheron, délégué de l’OTRE pour la région Rhône-Alpes-Auvergne.
Les blocages sont partout, absolument dans toutes les régions. L’arc Atlantique est un point très sensible avec les autoroutes majeures pour les transits européens. Comme ailleurs, les gilets jaunes communiquent largement via les réseaux sociaux, Facebook en tête, devenus les exutoires de la colère populaire. Heureusement, les organisations professionnelles veillent au grain « Nous ne pouvons pas admettre que des conducteurs soient menacés, pas plus que des camions soient empêchés de circuler. Certains de nos adhérents attendent que l’Etat fasse respecter la règle fondamentale de la libre circulation. Il est en effet inadmissible que quelques-uns bloquent l’économie. Aujourd’hui, des transporteurs sont prêts à déposer plainte. » constate Véronique Blay, responsable OTRE pour une grande région allant de la Gironde à Charente-Poitou.
Pas mieux, et peut-être pire en région PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur). Jean-Marc Montagnac, également OTRE, rappelle que les PME du transport ne sont pas des entreprises du Cac 40. Il ne décolère pas « L’économie est à genoux et les transporteurs exigent que cela s’arrête. Nous allons fabriquer des chômeurs car certaines entreprises ne passeront pas le cap de la nouvelle année. Nous avons franchi la limite de l’insupportable. ». Le responsable régional peut citer de multiples exemples aberrants comme ce camion-citerne qui a mis deux jours à faire sa tournée contre deux heures en temps normal. « Entre les blocages à l’entrée des lieus de stockage et les barrages sur les routes, cela est devenu impossible. Il faut remercier les conducteurs qui font preuve d’un grand professionnalisme ».
Et ailleurs, comment ça se passe ? En Normandie, pas mieux, et depuis le 17 novembre, il n’y a pas d’amélioration. On a même l’impression que Le Havre, la ville du Premier Ministre, trinque particulièrement. Il s’agit du port français le plus important pour les conteneurs. Les bloqueurs le savent. « Ce matin, encore, dès 4 heures du matin, le centre routier, par là où transitent nombre de camion, a été bloqué par des troncs d’arbre. En début d’après-midi, le blocage était toujours en place » commente Philippe Bonneau, OTRE Normandie, extrêmement pessimiste tout en étant combatif. Avec ses collègues de la FNTR et d’autres organisations professionnelles, il a obtenu un échelonnement des charges sociales de la part de la Direccte et des services fiscaux. « Parmi nos adhérents, toutes des PME du transport, la baisse du chiffre d’affaires s’échelonne de 20 à 50 %. C’est particulièrement inquiétant » ajoute Philippe Bonneau.
Á priori, les baisses de chiffre d’affaires sont moins catastrophiques en Occitanie. Frédéric Domenge, délégué régional de l’OTRE, annonce de 10 à 20 % avec une situation très variable selon les secteurs d’une vaste région. Du côté d’Alès ou Nîmes, c’est l’apocalypse et souvent les transporteurs n’envoient pas les camions sur la route « Toute la profession est à bout, des exploitants aux conducteurs sans oublier des clients qui mettent la pression alors qu’il est impossible de prévoir les délais de livraison à une période cruciale pour le commerce » explique le responsable qui s’étonne de l’organisation développée par les gilets jaunes « Selon les lieus, des équipes de relais nuit et jour 7 jours sur 7. Au départ, c’était bon enfant, à la fin de la journée tout le monde rentrait à la maison. Depuis, certains ont construit des cabanes au centre des carrefours dans lesquelles ils peuvent de reposer et faire à manger ». En plus, chaque point de blocage a ses propres règles, et lorsque l’un d’eux doit déménager, sous la pression de la police, il renait un peu plus loin. Un jeu du chat et de la souris qui met les nerfs à rude épreuve. La preuve de la grande inquiétude ambiante « Dimanche dernier nous avons convié l’ensemble de nos adhérents de l’Aveyron à nous rejoindre pour une réunion d’information et discussion. Et bien, 65% se sont déplacés ». Reste à attendre l’effet des annonces du Président de la République, ce lundi 10 décembre à 20 heures. Concernant les conducteurs routiers, la défiscalisation des heures supplémentaires aura forcément un effet bénéfique sur les salaires. Mais avant cela, l’activité économique doit reprendre … et vite !