Transport routier français et cabotage, la coupe est pleine

L’affaire est sérieuse et le gouvernement doit prendre garde à la montée de l’exaspération des transporteurs routiers confrontés à la concurrence déloyale, au long cours, mise en place, pour ne pas dire organisée, par des instances européennes chantres du libre-échange. Pourtant, la gestion européenne ne doit pas tirer l’économie vers le bas. Les conducteurs des pays de l’Est, qui ont un salaire quatre fois inférieur à celui de leurs collègues de l’Ouest, font le même métier dans des conditions de travail extrêmement difficiles, rentrant chez eux une fois par mois (et encore), et ne bénéficiant pas d’avantages sociaux qui sont forcément répercutés aux donneurs d’ordre par les entreprises françaises. Cette disparité économique est renforcée par le cabotage, pourtant encadré par une loi, bafouée car mal appliquée compte tenu d’un manque criant de moyens. Les contrôleurs attachés au ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer ne sont pas assez nombreux, même avec le renfort de policiers et de gendarmes. Le pire est que les dirigeants, membres du gouvernement et de la commission européenne, le savent très bien.

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La profession du transport routier se serre les coudes

En décembre 2013, Frédéric Cuvillier, alors secrétaire d’Etat aux Transports, reconnaissait cette distorsion de concurrence et la lente érosion du transport routier national à cause, justement, de la mise en place du cabotage. Il dénonçait alors « les comportements négriers dans le secteur des transports, vu la façon dont les salariés de certains pays européens sont traités en dehors de toute règle sociale ». Il avait alors pris la décision d’organiser, le 16 avril 2014, une rencontre avec ses collègues européens « conférence internationale sur les pratiques d’optimisation sociale dans le transport routier » afin de lutter contre le dumping social « Nous souhaitons que les abus soient pleinement pris en compte afin que nous puissions faire évoluer les choses » avait déclaré alors Frédéric Cuvillier lors d’une table ronde de ministres des transports venus notamment du Danemark, de Grande-Bretagne, de Pologne, de Roumanie et de République Tchèque. Qu’en est-il 2 ans après ?

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Joël Vigneron (à droite)

Selon l’Alliance, association qui regroupe les principales organisations françaises du transport (Astre, Evolutrans, Flo, France Bennes, France Groupements, France Plateaux et Tred Union), la situation sur le territoire français s’est nettement dégradée. « Nous sommes très inquiets. Nous ne sommes pas là pour bloquer la France, mais nous voulons être écoutés. L’Etat doit simplement faire respecter la loi » déclare Joël Vigneron, transporteur, président de Tred Union et de l’Alliance, qui assure que le pavillon français est en danger. En effet, dans le cadre d’opérations de cabotages, les professionnels du transport constatent régulièrement une forte concurrence des transporteurs étrangers, principalement venus d’Europe Centrale ou de l’Est. Cette pratique consiste à transporter des marchandises sur de courtes ou longues distances à l’intérieur d’un territoire national, en poids lourds mais aussi des transports de lots à l’aide d’utilitaires légers de 3,5 tonnes, en transport régulier ou en express, dont certains roulent sans compter et parfois en relais de deux chauffeurs. Pourtant le cabotage est très encadré par une réglementation précise (délai de 7 jours, limite en nombre d’opérations, etc.). Il n’est que rarement respecté alors que les documents de bord sont parfois falsifiés et en langue étrangère avec de fausses déclarations, les vérifications et mises en applications des textes sont très difficiles.

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Aline Mesples, présidente OTRE

« Nous voulons dire stop avant qu’il ne soit trop tard. Les salariés sont également inquiets de voir des conducteurs rouler au-delà des limites. Les dérives sont nombreuses. Nous avons perdu le transport international. Maintenant, nos gouvernants veulent-ils notre mort ? » s’alarme Denis Zanon, transporteur en Isère et membre du réseau Evolutrans, qui rappelle que les chargeurs qui utilisent des camions étrangers doivent contrôler s’ils ont le droit de faire du cabotage dans les règles fixées par la loi avec une amende de 15000 € à la clé. La première fédération de transporteurs, la FNTR, n’était pas présente à cette réunion qui s’est déroulées mercredi 17 février à Paris. Par contre, l’OTRE, avec sa présidente Aline Mesples, était bien représentée « Nous nous portons partie civile dans toutes les affaires litigieuses découvertes en France. Dernièrement avec l’affaire des camions turcs qui débarquent chaque semaine par centaines à Toulon en toute illégalité » explique Aline Mesples qui rappelle que de nombreuses entreprises sont en difficultés graves. Cela va des déménageurs au transport express de colis.

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Des documents parfois faux, parfois non traduits … ou les deux !

Elle complète « Savez-vous que dans ma région du sud-ouest, il y a 51 contrôleurs du transport. Et bien nous avons calculé que la totalité des contrôles effectués sur une année correspond à une journée de trafic routier de marchandises ». Il est donc nécessaire de réagir. Eric Cabaillé, transporteur, réseau Astre, s’emporte « Il y en a assez de se regarder le nombril. Il est temps d’agir alors que la situation est de plus en plus difficile. Nous savons que 80% de nos entreprises sont prêtes à se mobiliser. » Pour compléter, Aline Mesples, OTRE, témoigne « Je connais une entreprise de transport détentrice de 6 licences de transport et qui fait travailler 365 jours par an 150 camions étrangers. Ça va bien pour eux … Trouvez-vous cela normal ? » Chacun autour de la table se plaint que la profession ne soit pas suivie ni soutenue par le gouvernement. Pourtant, ce n’est pas faute de tirer la sonnette d’alarme.

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Eric Cabaille pour le groupement Astre

En janvier 2015, Daniel Laurent, sénateur de Charente-Maritime avait posé une question au secrétaire d’état aux transports « Je vous alerte sur la concurrence déloyale de sociétés européennes, essentiellement venues des pays de l’Est, pratiquant l’optimisation sociale et fiscale. Si l’arsenal législatif permet de saisir la justice pénale sur les montages souvent frauduleux de ces entreprises, sur le fondement du travail illégal, cela nécessite un long travail d’enquête. Parfaitement au fait de la législation, ces entreprises œuvrent plus particulièrement dans le transport de moins de 3,5 tonnes, les contraintes règlementaires étant moindres pour les conducteurs de véhicules utilitaires non-résidents. Même si la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale impose aux véhicules de transports de marchandises de moins de 3,5 tonnes de respecter les règles de cabotage imposées à tous les poids-lourds on peut dès lors s’interroger sur les moyens dont disposeront les services de l’État pour contrôler et lutter efficacement contre ces pratiques. En conséquence, il lui demande de lui préciser les mesures que le Gouvernement compte mettre en œuvre en la matière. » Le ministre a répondu en rappelant le cadre légal, mais sans apporter de solutions concrètes. Une fois de plus. La profession est donc mobilisée. Nous vous tiendrons informé des suites données.

Participants à la réunion du 17 février

Joel VIGNERON – TRED UNION

Paul-Antoine JUNG – TRED UNION

Patrick MENDY – FLO

Stéphane AIO – FRANCE GROUPEMENTS

Anne Charlotte DONSE – FRANCE GROUPEMENTS

Cédric BENITO – FRANCE GROUPEMENTS

Patrick KALMES – FRANCE GROUPEMENTS

Eric CABAILLE – ASTRE

Denis BAUDOUIN – ASTRE

Denis ZANON – EVOLUTRANS

Bernard LATASTE – EVOLUTRANS

Eric PICHOL – FRANCE PLATEAUX

Didier RAMETTE – FRANCE BENNE

Aline MESPLES – OTRE

Gilles MATHELIÉ-GUINLET – OTRE

Françoise ANTIGNAC – AFTRI

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