Aujourd’hui, quand Clara se délecte d’une fraise Tagada ou lorsque Pablo grignote un Palmito, la planète entière en est informée par les réseaux sociaux. Parallèlement, tout devient « objet connecté », volontiers localisé en continu. Chargeur, logisticien et destinataire sont demandeurs d’une visibilité en direct sur la position de leur fret. Mais que doit-on et que peut-on localiser ? Selon le cas, la position communiquée sera celle d’un contenant, d’un véhicule, d’un smartphone professionnel ou encore, celle d’une opération de transbordement.
Tout savoir sur tout et tous en permanence et partout est une tendance forte d’un monde où le smartphone est devenu l’extension de son utilisateur. L’e-commerce B2C a par ailleurs banalisé la livraison rapide avec annonce du créneau de livraison. Pour les professionnels de la logistique et les échanges B2B, il n’est plus admissible que la chaîne logistique soit une boîte noire.
Elle doit désormais informer chargeurs et destinataires des étapes du transport, des lieux de stockage temporaires et des conditions de transport. Ces dernières peuvent justifier l’insertion d’une sonde dans le fret, au niveau du contenant ou du véhicule afin de contrôler la température, le taux d’humidité ou les chocs subis. Les sondes insérées dans le fret et plus généralement, les contenants récupérables équipés de balises communicantes et localisées représentent un surcoût non négligeable, même en faisant appel à des réseaux de communication basse consommation (LPWAN comme LoRa, LTE-M, Nb-IoT ou Sigfox). Ce surcoût n’est admissible que pour certains frets sensibles.
Le coût admissible détermine la granularité du suivi et la fréquence des relevés de position
Doit-on suivre le véhicule ou le contenant (palette, carton, voire enveloppe) ? Plus la granularité du suivi est fine, plus il faut multiplier les objets suivis et les moyens de les suivre. Si le véhicule ou le conteneur est suivi, il faut être certain que le fret à suivre s’y trouve effectivement.
Ensuite, le suivi doit-il se fonder sur des objets communicants et localisés en continu par satellites (ou par un dispositif adapté au contexte) ou bien sur des relevés ponctuels ? En cas de localisation en continu, une balise doit émettre une position. Cela pose la question de la fiabilité et de l’entretien de cette balise, mais aussi celle du traitement de ses données.
Le relevé ponctuel de position peut se contenter de codes optiques (codes à barres, codes 2D) ou d’étiquettes communicantes alimentées par le champ d’ondes radio auquel elles sont exposées (NFC, RFID). Ces codes ou étiquettes sont économiques et abaissent la granularité du suivi au niveau du contenant (carton, enveloppe). En eux-mêmes, ces codes ou étiquettes ne communiquent par leurs positions. Ils doivent être exposés à un lecteur et c’est en fait la position de ce lecteur qui est associée au contenant marqué d’un code ou d’une étiquette. Ce relevé de position a lieu lors des opérations de manutention (ramasse, concentration ou éclatement de flux, transbordement, entrée ou sortie d’entrepôt, livraison).
La position du fret est connue en liant la position de l’entrepôt ou du véhicule à celles des étiquettes portées par chaque contenant. L’information de suivi est erronée si un relevé d’étiquette est oublié ou défectueux. Il est envisagé d’équiper le cadre arrière des véhicules avec des lecteurs optiques et/ou NFC-RFID afin de relever automatiquement les étiquettes de chaque contenant. Ce projet se heurte entre autres au manque relatif de standardisation des marquages, cette standardisation étant généralement réalisée par secteurs d’activité. Tous n’ont pas les mêmes besoins de suivi.
Arrêtez de me suivre !
Dans le monde du transport routier de marchandises, le suivi du fret consiste souvent à localiser le véhicule à travers la télématique de celui-ci. Ce moyen ouvre à des services complémentaires comme le geofencing, le corridoring, l’ETA, etc. Pour que son véhicule soit localisé par la chaîne logistique, il est nécessaire que le transporteur ait autorisé le partage des données de sa télématique. Or les transporteurs ne souhaitent pas forcément que leurs chargeurs et destinataires puissent reconstituer leurs parcours, sous-traitances ou groupages. Il en résulterait une capacité à calculer leurs coûts réels.
La localisation en direct est un facteur de confiance, surtout lorsque le transporteur n’est pas connu du chargeur. Ce peut être le cas lorsqu’il est fait appel à une bourse de fret. Timocom incite donc ses transporteurs à se laisser suivre. En France, B2PWeb est complété par GedMouv.
La position d’un fret peut être estimée par des algorithmes lorsqu’elle n’est pas relevée en direct par un dispositif communicant. Il y a là un savoir-faire que développent les prestataires spécialisés dans le suivi.
Pas de suivi sans collecte et partage de données
Pour les géants de la logistique, le suivi du fret est au cœur de l’activité. Ceva Logistics propose son outil Ceva Trak dans ce but. STEF, XPO et consorts proposent tous des moyens de suivi à leurs clients.
Par nature, la chaîne logistique fait intervenir différents acteurs de tailles et de natures variées. Pour que le suivi du fret fonctionne, tous ces acteurs doivent approvisionner ce qui ressemble à une base de données mutualisée. En pratique, il s’agit plutôt d’accorder un accès sélectif à des informations transmises vers différentes bases de données. Le chargeur, le transporteur ou le destinataire n’ont ni les mêmes besoins, ni les mêmes prérogatives, mais ils ont tous besoin de créer confiance, prévisibilité et fiabilité.
Collecter et ajuster l’information de suivi aux différents acteurs de la logistique est devenu une spécialité qui doit composer avec l’hétérogénéité des ressources, des données, des procédures et des demandes. Shippeo est l’un des spécialistes du suivi. Comme d’autres domaines de la numérisation du transport, celui du suivi se caractérise par la concentration des acteurs (Shippeo a acquis oPhone), leur croissance par levées de fonds (la jeune pousse française Shippeo se développe vers l’Asie avec des investisseurs hongkongais et japonais) et par la multiplication sans fin des passerelles entre les systèmes.
Le suivi nécessite un EDI en extension permanente afin de faire communiquer les TMS (ceux des chargeurs et ceux des transporteurs), les WMS, l’informatique de quai, les objets connectés (IoT), les équipements embarqués, voire toutes les sources d’informations indirectes (état du trafic, etc.).
Pour un spécialiste du suivi comme GedMouv, la liste des connexions aux systèmes tiers ne cesse de s’allonger car elle est complétée par des TMS, des prestataires de toutes sortes (transitaires, etc.) ou par des services complémentaires (eCMR, etc.).
Suivi des actifs ou suivi de l’humain ? Attention au RGPD !
L’un des freins au suivi du fret est le manque de numérisation de certains « petits » acteurs de la chaîne logistique autant que l’absence de standardisation des données. Le dernier kilomètre des livraisons B2C fait pour sa part volontiers appel aux smartphones pour annoncer l’ETA, mais le RGPD veille.
Localiser un véhicule ou un contenant est une chose, localiser un chauffeur-livreur en est une autre. L’article L1121-1 du code du travail stipule « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». L’employeur doit donc avoir de bonnes raisons pour suivre le véhicule ou l’appareil professionnel (téléphone, tablette, etc.) d’un membre de son personnel. Informer le personnel de ce suivi est obligatoire conformément à l’article L1222-4 du code du travail : « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».
Parce qu’il répond à une demande grandissante et s’appuie sur une synthèse d’informations hétérogènes, voire sur des modèles lorsque l’information est discontinue, le suivi du fret est l’un des domaines numériques de la chaîne logistique qui doit se montrer le plus agile. A défaut, ce serait la confiance accordée au prestataire de suivi qui s’effriterait.
Crédit photo : Renault Trucks