Non, la palette n’est pas jetable. Non, elle n’est pas gratuite. Oui, elle a été payée par quelqu’un. Oui, elle sera réutilisée. Victimes du particulier qui prélève une palette innocemment, des réseaux spécialisés dans le vol de palettes, voire des fausses palettes EPAL, les 600 millions de « vraies » palettes EPAL en circulation en Europe paient un lourd tribut à leur universalité.
Taper « DIY Palettes » dans un moteur de recherche et vous trouverez mille idées « à faire soi-même » (do it yourself !) à partir de palettes. Canapés, bars, commodes, jardinières, terrasses, tout y passe ! Il est exceptionnel que ces pages web expliquent que prélever une palette, c’est en général voler une palette. Le consommateur lambda ne distingue pas la palette perdue « one way » (donc à usage unique, non récupérée par la chaîne logistique) de la palette échangeable destinée à une réutilisation « à vie ». Pire, les palettes des loueurs identifiées par leurs couleurs peuvent être recherchées à cause de leurs couleurs ! Bleues chez Chep (Commonwealth Handling Equipment Pool), brunes chez IPP (International Pallet Pool BV), vertes pour les Eco de PGS (Palettes Gestion Services), vertes uniquement aux extrémités des planches chez PRS (Pallet Return System, Faber Group) et évidemment, rouges chez LPR (La palette rouge), elles attirent certains menuisiers du dimanche.
Au moment de la rédaction de cet article, Google répond naïvement à la question « Où trouver des palettes EPAL gratuites ? » et oriente vers les chantiers, les supermarchés ou les petites entreprises. Une palette EPAL gratuite, ça n’existe pas, ou alors, elle est détruite ou pourrie, destinée à la benne « bois » du recycleur de matériaux.
Une palette volée est revendue 10 à 20 euros. Lorsque la palette n’est pas au cœur de l’activité de l’entrepôt, elle n’apparaît pas dans son inventaire. Le prélèvement de palettes peut donc passer longtemps inaperçu.
Merveilleuse palette
Avant de faire la joie des bricoleurs, la palette est avant tout un moyen de manutention standardisé et réutilisable aussi longtemps qu’il est raisonnablement réparable. C’est le chargeur qui fixe les règles quant à son emploi. S’il choisit la palette perdue, il doit faire supporter à son client un coût d’environ, 28€/palette (prix d’une palette neuve au détail en 2022). S’il choisit la palette échangeable, il doit prévoir sa restitution en vue d’une réutilisation en pool. Les chaînes logistiques organisées comprennent donc le flux retour des palettes (logistique inverse des emballages récupérables), ou bien la sous-traitance de leur relocalisation à un prestataire spécialisé. Epalia (groupe Suez), Opalean, Magic Pallet, Paki Logistics (groupe Faber Halbertsma), Palbanks/PFM Solutions (B2P), PGS ou Valorpal (Burban palettes) comptent parmi les spécialistes de la « relocalisation » des palettes ou de la virtualisation de leurs échanges. Un tel prestataire tient un « compte palettes » au profit de chaque transporteur et se substitue à lui pour le retour des palettes vides vers le chargeur. D’une façon générale, les transporteurs ne sont pas rémunérés pour le retour des palettes vides vers leurs chargeurs, mais ce retour a un impact non négligeable sur leur productivité. Actuellement, les palettes ne sont pas identifiées de manière univoque et leur retour s’effectue dans le cadre d’un échange « nombre pour nombre » en respectant si possible la classification de qualité. La comptabilité palettes des transporteurs étant complexe, des solutions tentent de la simplifier comme l’eVoucher de Paki, Pallet Analytics d’Opalean ou l’intégration d’Opatrace (Opalean) aux TMS, etc.
Attention aux fausses palettes EPAL !
Basé à Düsseldorf, l’EPAL (European Pallet Association) est l’organisme de référence pour les europalettes échangeables. Il a fixé plusieurs niveaux de qualité : neuf, puis A, B et C.
Précisons que « europalette » est un format (800 x 1200 x 144 mm, soit 0,96 m2 pour une masse de plus de 25 kg et une capacité de 1,5 t, voire 4 t en statique) tandis que EPAL est un pool d’échanges d’europalettes.
Indépendants du système EPAL, les loueurs livrent les palettes au chargeur, puis les collectent chez les destinataires avant de les redistribuer chez les chargeurs. Des palettes neuves sont régulièrement injectées dans le pool d’échange EPAL, mais la plupart des palettes utilisées sont des palettes de réemploi. Un clou qui dépasse, une planche cassée, un dé déformé, un élément manquant ou un marquage illisible excluent une palette du pool d’échange EPAL. Elle ne peut y être réintroduite qu’après réparation. L’utilisateur n’est autorisé qu’à enfoncer un clou qui dépasse ou à sécher une palette. Toutes les autres réparations doivent être réalisées par une entreprise de réparation sous licence. La palette EPAL retrouve ainsi un état classé A, B ou C. Recourir à un loueur supprime une contrainte pour les transporteurs dont le métier n’est pas de transporter des palettes vides, à moins qu’ils soient payés pour cela.
A elles seules, les palettes EPAL actuellement en circulation en Europe représentent une valeur de plus de 10 milliards d’euros. De quoi attirer les convoitises. Plus facile à contrefaire qu’un billet de banque, la palette a ses faussaires. Ils fabriquent de fausses palettes EPAL à moindre coût. Cela provoque l’emploi d’un bois de piètre qualité, des assemblages approximatifs, des dés de tailles variées, des chanfreins inexistants ou non conformes et bien sûr, de faux marquages tant pour « EPAL » que pour le numéro d’agrément EPAL. Le dé central de chaque palette porte le marquage IPPC (International Plant Protection Convention) avec identification du fabricant de la palette. Hors iPal, les palettes Epal n’ont pas d’identifications individuelles.
Boucher le trou dans la raquette
Actuellement, rien ne ressemble plus à une palette échangeable qu’une autre palette échangeable du même pool (EPAL). Deux innovations sont envisagées pour freiner le vol de palettes et limiter l’afflux de contrefaçons. La première consiste à placer une balise communicante dans chaque palette à la manière du loueur IPP qui a fait entrer la palette dans l’internet des objets (IoT) avec Global Tracks en 2020. L’une des contraintes de cette démarche est le coût unitaire des balises qui est du même ordre que celui des palettes. Plus économique, la solution iPal introduite en 2020 par le pool ouvert EPAL consiste à imprimer un code 2D (alias « QRCode ») sur les dés en bois des palettes. Chaque palette se dote ainsi d’une « plaque d’immatriculation » qui assure le suivi de son cycle de vie et d’utilisations. Une appli « iPAL app » permet une saisie immédiate de l’identification de la palette (vide ou chargée) par les intervenants de la chaîne logistique.
IoT ou code 2D, ces solutions n’ont de sens que si tous les acteurs de la chaîne logistique s’y convertissent. Les freins à la conversion ne manquent pas. En particulier, le flou qui entoure encore l’état des palettes collectées et restituées par les transporteurs disparaîtrait si toutes les palettes étaient identifiées précisément. Les transporteurs ne sont pas payés pour la logistique retour des palettes et ils ne tiennent pas à voir leurs chargeurs se montrer plus exigeants qu’ils le sont déjà à propos de l’état des palettes.
Avec 100 millions de nouvelles palettes injectées dans le pool EPAL chaque année, la presque totalité des palettes EPAL actives pourraient devenir des iPAL en six ans si la filière faisait le choix de la traçabilité.
Crédit photo : EPAL