Constructeur et équipementiers V.I s’approprient le marché de la gestion de flotte et promettent l’interopérabilité des systèmes pour mieux prendre la main sur la maintenance des parcs et les services aux transporteurs
Relativement établi pendant une quinzaine d’année, le marché de la télématique connaît depuis peu d’importants bouleversements liés à la propagation de l’IoT. Avec la digitalisation et la connectivité des camions, seule compte la donnée et son exploitation, peu importent les matériels qui la génèrent puisque désormais tout est connecté via les API internet. Plusieurs phénomènes émergent ainsi de cette interopérabilité grandissante des systèmes. L’industrie automobile s’empare de la télématique en rachetant progressivement les spécialistes du marché. Les constructeurs de poids-lourds proposent tous des camions connectés en usine dont les logiciels de gestion s’ouvrent aux unités embarquées des marques concurrentes. Paradoxalement, alors que le bon vieux boitier télématique en seconde monte est ainsi voué à disparaitre, de nouveaux acteurs arrivent ou se renforcent sur le marché de la gestion de flotte et mettent l’accent non plus sur le matériel mais sur la dimension logicielle et les interfaces Cloud. L’enjeu de ces concentrations ou d’une meilleure interopérabilité des systèmes est évident : rendre intelligents ou du moins communicants tous les équipements et composants des véhicules pour informatiser la gestion opérationnelle de la flotte et la maintenance technique du parc. Il ne s’agit plus de vendre des camions, des essieux ou des pneus mais plutôt de proposer des packs de services incluant les véhicules et des outils pour leur télé-gestion en temps réel.
Constructeurs et équipementiers sur la même voie
Alors que depuis quelques années les constructeurs V.I créent des filiales et rachètent des éditeurs pour proposer leurs propres systèmes télématiques intégrés aux camions, les pneumaticiens et équipementiers intègrent eux-aussi la connectivité par le biais de fusions avec des fournisseurs historiques. Quand Porsche-Volkswagen reprend PTV en 2017 ou que la filiale V.I. Traton crée RIO la même année, c’est pour préparer une forme d’interopérabilité entre les solutions de connectivité, d’optimisation d’itinéraires et de géopositionnement des différentes marques du groupe. Même son de cloche chez Volvo qui crée le portail Volvo Connect ouvert à tous ou quand Fleetboard reprend le TMS allemand Habbl. Les constructeurs s’unissent même en conglomérat à l’image d’Audi, BMW et Daimler pour financer les développements technologiques de la plateforme cartographique HERE par exemple. Parallèlement Wabco intègre Transics (avant d’être lui-même repris par ZF en mars dernier), Bridgestone acquiert TomTom Telematics (rebaptisé depuis Webfleet Solutions) et Michelin reprend Masternaut. En l’espace de quelques années, le marché s’est fortement concentré et cette cascade d’acquisitions reflète l’enjeu pour l’industrie poids-lourds de se digitaliser. Depuis l’intégration de Transics, Wabco a par exemple étendu l’offre de connectivité à ses équipements pour remorque dont les systèmes de freinage EBS ou de fermeture électronique des portes. ZF va également bénéficier des solutions et du savoir-faire technologique de son ex-concurrent pour enrichir ses produits. De son côté Bridgestone, en intégrant le portefeuille de plus de 850 000 véhicules connecté à Webfleet, veut développer les services connectés autour du pneu et de la semi-remorque. La combinaison des solutions Webfleet avec l’offre FleetPulse de capteurs de pression connectés et l’offre MoBox de sous-traitance de l’entretien, permet au manufacturier de digitaliser le suivi et la gestion du parc de ses clients.
Les équipements s’intègrent au big data
La stratégie est sensiblement la même chez Michelin avec Masternaut qui va permettre de renforcer l’offre de gestion de flotte proposée par l’entité Michelin Solutions et à la filiale Euromaster de développer ses services de maintenance proactive (voir encadré). Sur le concept du « chip in tyre » (puce dans la gomme), les pneumatiques devenus connectés (également les systèmes de freinage des remorques ou les unités frigorifiques) fournissent un flux de données supplémentaire à intégrer aux outils d’analyse big data de performance des flottes. A terme, cet ensemble de données couplé aux informations collectées à même la chaussée permettront à l’intelligence artificielle d’optimiser la conduite des véhicules autonomes. Pour l’heure les équipementiers pneumaticiens veulent fidéliser les clients par les services digitaux et les télématiciens vont bénéficier d’investissements en R&D et du portefeuille de clients de leurs acquéreurs pour créer de nouvelles opportunités commerciales et pérenniser leur croissance. Notons la réaction des fournisseurs télématiques historiques ou des éditeurs de logiciel de planning transport qui renforcent les partenariats techniques pour interfacer leur plateformes à celles des constructeurs V.I et fusionnent pour mutualiser leurs moyens. On citera Astrata ou Trimble qui renforcent les interfaces TMS ou leurs stores d’applications ouvertes, Vehco qui a repris Groeneveld ITC pour renforcer son offre logicielle sous Android et les interfaces TMS.
Peser le pour et le contre
Avec cette concentration du marché, tout repose de plus en plus sur la donnée informatique interopérable sensée offrir aux transporteurs une simplification de leurs systèmes d’information. En connectant tous les composants des véhicules à des plateformes capables de traiter les données de véhicules de marques hétérogènes, l’industrie PL offre aux transporteurs un accès web unique à la gestion globale de la flotte et du parc. Les transporteurs disposent ainsi d’outil de gestion en direct des véhicules qui améliorent leur sécurité et optimisent leur consommation ou leur entretien. En contrepartie, les fournisseurs collectent une foule d’informations sur l’utilisation des camions qu’ils utilisent, certes, pour analyser et prédire l’usure et les plans d’entretiens, mais aussi pour fidéliser -pour ne pas dire capturer- les clients. Ils cherchent, sous couvert de service à valeur ajoutée, à rapatrier les flottes dans leurs réseaux d’entretien et à prendre totalement la main sur la maintenance. C’est pour certains une vraie opportunité de sous-traiter la gestion du parc pour mieux se concentrer sur l’organisation du transport. C’est pour d’autres une intrusion des industriels dans le quotidien des entreprises qui perdent peu à peu le contrôle de leur outil de production….
[mks_pullquote align=”left” width=”600″ size=”14″ bg_color=”#dd9933″ txt_color=”#ffffff”]L’enjeu d’intégration, l’exemple de Michelin
Pour le pôle V.I. du groupe Michelin, l’intégration télématique répond aux attentes des transporteurs. En rachetant Masternaut au printemps dernier, le pneumaticien veut devenir la porte d’entrée pour les entreprises à des services avancés de gestion de flotte. Selon lui, il existe aujourd’hui des dizaines de fournisseurs de services et de logiciels proposant des solutions qui ne couvrent qu’une partie des besoins des opérateurs de flotte. Par exemple, un gestionnaire de flotte va devoir utiliser différentes technologies pour le suivi des véhicules, la surveillance de la pression des pneus, la gestion des tâches, la gestion des transports, la gestion de la flotte, la maintenance, la réparation, etc. Michelin entend régulièrement dire par ses clients que cet écosystème technologique fragmenté est difficile à gérer. Ils doivent sans cesse basculer entre ces applications et installer du matériel souvent incompatible pour gérer efficacement leur flotte, sans parler des multiples fournisseurs qui coopèrent rarement les uns avec les autres. C’est pourquoi Michelin investit par l’intermédiaire de sa branche Services et Solutions, dans le développement d’une solution unique à destination des flottes. L’acquisition de Masternaut va permettre à Michelin de proposer à ses clients une plateforme de flotte connectée centralisant toute une série de données, notamment la position des véhicules, le comportement du conducteur, les informations sur les missions et les cartes de carburant. Des travaux sont par ailleurs en cours pour définir d’éventuelles intégrations avec les autres produits Michelin Services et Solutions. Le groupe prévoit aussi de développer les interfaces avec d’autres systèmes. Toutes les données collectées par les technologies Masternaut (capteurs, boîtiers) sont interfaçables via API avec les différents systèmes métiers ou logiciels d’agrégation de données. « Il est possible de mutualiser ces différentes données (télématique, pneus, remorques) au sein d’une même plate-forme technologique unique. Une telle vision enrichie permet d’imaginer encore plus de services pour nos clients – une vision complète des véhicules et de l’activité, un meilleur management des assets, une contextualisation des données, la maintenance prévisionnelle, une offre de services pro-actifs de maintenance, etc. », déclare Michelin.[/mks_pullquote]