3e article de l’enquête “Plateforme” publié en mars 2020 dans TRM le Guide
Le e-commerce dicte la transformation des distributeurs, nous dit Nicolas Davril, arrivé chez Leroy Merlin fin 2016, après 8 ans à la direction transport et logistique de Carrefour. Pour le roi du bricolage, Nicolas Davril a conduit une réorganisation complète du réseau logistique, de ses prestataires, ainsi que le projet de traçabilité mené avec la plateforme Shippeo. En toute transparence, il développe cette transformation physique et numérique.
TRM Le Guide : Leroy Merlin est à la fois symbolique de la croissance du e-commerce, d’une logistique multicanal, mais aussi d’une traçabilité de plus en plus poussée, imposée aux transporteurs via la plateforme Shippeo. Expliquez-nous d’abord la globalité de votre projet économique et informatique.
Nicolas Davril : Fin 2016, ma feuille de route à trois ans était composée de trois chantiers : la délivrance – englobant les questions de traçabilité, de communication, de fiabilité de l’information ; la performance économique – notamment les achats de transport et la mutualisation des flux ; et la RSE – la responsabilité sociale et environnementale, essentielle dans cette stratégie. En effet, le logo vert de Leroy Merlin marque notre engagement. La dimension RSE, liée aux deux précédentes, permet d’impliquer nos partenaires et de construire un véritable écosystème vertueux.
Nous collaborons avec 110 transporteurs, contre 180 en 2017
Pour conduire ces projets, nous nous sommes appuyés sur différents outils informatiques : Shippeo bien sûr mais aussi Opalean et MagicPalet, pour mieux gérer notre logistique des retours et nos flux de palettes ; ou encore la solution de business intelligence Sightness, afin de disposer de tableaux de bord dynamiques – des indicateurs de rentabilité sont présentés en 3D, et nous permettent d’aller chercher de la performance économique.
Au cœur de cette stratégie, nous déployons en 2020 un nouveau TMS Oracle (OTM) dans nos exploitations de transport aval (livraisons des magasins), après avoir réalisé l’amont (flux fournisseurs vers les entrepôts) en 2019. Nous industrialisons nos processus, de manière à ce qu’une commande de transport puisse être poussée automatiquement dans Shippeo, puis dans les TMS des transporteurs. Le suivi des opérations et les preuves de livraison remontent de manière fluide dans notre système d’information.
Parallèlement, la croissance du e-commerce justifie une maîtrise complète des données, mais aussi des moyens physiques de plus en plus proches des agglomérations…
En effet, le réseau Leroy Merlin est en pleine évolution. Notre appétence digitale est très forte, motivée par la croissance du chiffre d’affaires de notre site Internet – de 40 à 50 % par an. Notre logistique doit s’adapter pour délivrer rapidement nos clients – qui viennent retirer leurs achats en magasin ou se font livrer à domicile. Aujourd’hui, lorsqu’on livre un magasin, 35 % du chargement est composé de biens que les clients vont venir récupérer directement, comme dans un point relais. Ce processus d’achat est devenu phénoménal en quelques années. Résultat : Nous devons devenir “client centrique”. La data fait partie du business, comme dans le BtoC.
De ce fait, nous avons développé un réseau régional d’entrepôts. Il y a trois ans, nous avions quatre sites logistiques. Aujourd’hui nous en possédons 12, dont trois nationaux (Nord, Paris, et Valence), sept régionaux (le dernier inauguré en janvier 2020) ainsi que deux entrepôts e-commerce (Nord et Paris), qui desservent directement les clients finaux. En complément, nous avons ouvert l’an dernier une plateforme urbaine à Gennevilliers pour alimenter nos magasins parisiens et les particuliers. Au total, nous comptons aujourd’hui 141 magasins.
Des magasins et des entrepôts dont la performance dépend de la fiabilité des plans de transport, donc du respect des délais. Quel était votre niveau de qualité avant d’implémenter Shippeo en 2017 ?
Il y a trois ans, il existait une défiance, un manque de communication flagrant entre les magasins et l’organisation logistique de Leroy Merlin. Beaucoup de transporteurs décalaient des livraisons au lendemain sans nous prévenir. Chacun s’organisait localement… Notre taux de ponctualité s’élevait alors à 75 %. Une première enquête nous a permis de remettre à plat un standard de cahier des charges.
« Le transporteur doit remonter les horaires de 98% des livraisons. Dans 80 %, la géolocalisation doit être transmise automatiquement via de l’informatique embarquée. »
Comment s’est déroulée la sélection de vos prestataires ?
En 2017, nous travaillions avec 180 transporteurs. En 2018, nous avons réalisé un appel d’offres pour sélectionner des entreprises capables de nous accompagner dans nos objectifs de délivrance, de performance, et de RSE comme décrit plus haut. Aujourd’hui, nous collaborons avec 110 transporteurs. Les entreprises ont eu six mois pour s’organiser et satisfaire à notre appel d’offres. Parallèlement, bien conscient du risque, ou de l’appréhension des transporteurs concernant les données qu’ils nous confient via Shippeo, nous avons aussi renforcé nos CGU avec la plateforme.
Les entreprises équipées d’informatique embarquée ont pu répondre assez facilement à nos conditions. Pour les autres, ce fut plus compliqué. Nous avons dû cesser la collaboration avec celles qui ne voulaient pas utiliser Shippeo.
Par la suite, nous avons réalisé un deuxième appel d’offres plus précis, en exigeant l’utilisation de Shippeo avec un taux de tracking en temps réel de 80 %, et un taux d’horodatage de 98 %. Autrement dit, le transporteur doit remonter les horaires de livraison dans 98 % des cas. Dans 20 % des flux, la saisie peut être manuelle sur la plateforme Shippeo. Et dans 80 %, la géolocalisation doit être transmise automatiquement via de l’informatique embarquée (et pas via un GPS sur smartphone, moins fiable). Deuxième point éliminatoire : nous avons exigé que les transporteurs soient engagés dans la Charte Objectif CO2 (ou le Label), avec un délai d’un an pour satisfaire cette condition. Dorénavant, nous avons décidé de réaliser un nouvel appel d’offre tous les trois ans, afin de donner de la visibilité aux transporteurs qui travaillent avec nous. C’est un gage de partenariat, qui justifie aussi nos exigences de performance.
Dans l’intervalle, vous avez largement augmenté vos flux portés par la vente à distance…
En effet, en 2017, le budget transport était de 65 millions d’euros. Il est aujourd’hui de 105 millions d’euros. Notez que l’optimisation a été structurelle. Des 2017, nous avons entrepris de rationaliser notre plan de transport avec les acteurs nationaux, pour porter à 75 % de nos flux amont la part de fournisseurs français. Cela dans l’objectif d’améliorer la qualité et de réduire les kilomètres. En effet, avec 140 magasins, nous couvrons tout le territoire. Nous avons toujours un fournisseur à quelques dizaines de kilomètres à la ronde. En outre, nous avons intérêt, tant d’un point de vue économique que qualitatif, à faire appel aux mêmes entreprises pour effectuer nos flux amont et aval.
Parmi les 110 transporteurs qui travaillent pour vous, peut-on citer quelques-uns de vos principaux partenaires ?
Le groupe Blondel, Perrenot, XPO, Eychenne, Bray, TAB pour les flux rail-route, ou encore Altrans. Parmi ces acteurs, les plus significatifs représentent 2 à 3 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Jusqu’où allez-vous dans la traçabilité des camions ?
Suivre les itinéraires des véhicules en continu ne nous intéresse pas. En revanche, nous voulons anticiper tout dysfonctionnement. Nous demandons à recevoir une première position une heure avant une livraison à un magasin (sur la base d’une heure estimée d’arrivée calculée par Shippeo) et une seconde au moment du départ. En effet, nous devons prévenir le magasin en cas de retard et lui permettre de s’organiser. Nous voulons également connaître le temps passé sur site, pour identifier les établissements qui passent trop de temps à décharger – ce qui n’est bon ni pour nous ni pour le transporteur. L’idée est d’arriver à une optimisation partagée. Concernant les flux amont, le suivi est moins pertinent, car le transporteur dépose en général une remorque pleine pour en accrocher une vide et repartit aussitôt. Le temps de déchargement est alors plus difficile à évaluer via Shippeo.
Je me suis engagé personnellement à atteindre 95 % de respect du délai à la demi-heure. En janvier 2020, nous avons atteint 92 % en moyenne. Nous y sommes presque ! Nous sommes déjà 95 % sur les flux régionaux, et à 90 % sur les flux nationaux, plus difficiles à optimiser.
La remontée automatique des positions entre de l’informatique embarquée et Shippeo suppose de multiples interfaces…
L’engagement pris par Shippeo a été de construire des passerelles avec tous les principaux fabricants du marché, ce qui est aujourd’hui réalisé. Dans l’appel d’offres, nous avons demandé que les transporteurs renseignent la marque de l’équipement utilisé.
En 2020, chaque retard déclenchera l’envoi d’un message au transporteur, qui devra se justifier « à chaud ».
Comment se compose ce panel télématique ?
Sans citer de marque, nous pouvons dire que trois fabricants indépendants rassemblent plus de la moitié des équipements répertoriés chez les 110 transporteurs. Quatre autres marques de GPS représentent 20 % du marché, le reste étant ventilé sur une quinzaine d’acteurs.
Ce travail d’interface effectué, quels sont les résultats de la traçabilité ?
Je me suis engagé personnellement à atteindre 95 % de respect du délai à la demi-heure ! En janvier 2020, nous avons atteint 92 % en moyenne. Nous y sommes presque ! Nous sommes déjà à 95 % sur les flux régionaux, et à 90 % sur les flux nationaux, plus difficiles à optimiser. La transparence est aujourd’hui globale. Les dashboards fournis par Shippeo sur le portail “customer visibility” sont exploités globalement, d’abord par moi-même et les directions de transport régionales, mais aussi au niveau des entrepôts, de chaque magasin, et des transporteurs qui accèdent à leurs propres chiffres. Tous nos sites peuvent vérifier la qualité des livraisons. Chacun doit pouvoir valider ou remettre en cause la réalité de ces indicateurs sur le terrain.
Que peut-on encore améliorer dans cette organisation digitale ?
Nous allons maintenant nous attacher à réduire les goulots d’étranglement logistiques que nous avons pu constater en zone urbaine. En effet, les temps de trajet entre les entrepôts régionaux et les magasins sont très variables en fonction des heures de livraison. A 9h du matin en zone urbaine, par exemple, les messagers rencontrent les expressistes dans nos magasins. Il existe un encombrement récurrent des zones de déchargement. Selon l’horaire, on peut mettre un quart d’heure ou une heure à vider un camion. Sur cette base d’informations, nous allons maintenant affiner nos plans de transport. Nous allons décrypter avec les magasins des organisations différentes pour réduire la saturation des plannings.
Un deuxième pan de travail concerne le calibrage des retards, dans l’objectif de tendre vers les 100 % de délais respectés. Pour cela, il nous faut analyser chaque cause de délai, qui peut être humaine, due à un problème dans un magasin précédent, ou contextuelle (bouchons, grèves, intempéries, etc.). Pour cela, nous avons demandé à Shippeo que chaque retard déclenche l’envoi d’une question au transporteur, qui devra justifier le problème « à chaud ». Ce système sera mis en place au second semestre 2020. Sur la base d’un ensemble de données contextuelles, le logiciel « intelligent » proposera une cause de retard. Le prestataire pourra la valider d’un clic ou la modifier. Ce système devrait permettre de qualifier objectivement la performance de nos partenaires, de pointer nos propres dysfonctionnements, et de mener des plans d’action au cas par cas.
L’optimisation doit aussi mener à un meilleur bilan environnemental. Quelle est votre démarche sur ce plan ?
Nous avons signé la charte Fret 21 il y a trois ans. Nous nous sommes engagés à diminuer nos émissions de CO2 de 15 % en trois ans. Cela représente 11 000 t de CO2, ou encore 3 millions de litres de gasoil, par an. Fin mars 2020, nous allons remettre un premier bilan de notre engagement : nous avons bien atteint les 15 % ! Par ailleurs, 50 % des livraisons aux magasins (à partir de nos sept entrepôts régionaux) sont effectués avec des camions au gaz. Ce chiffre est en croissance, puisque nous sollicitons nos transporteurs dans cette voie. Les entreprises citées plus haut sont parmi les plus vertueuses dans ce domaine.
Outre les actions menées auprès des transporteurs, nous avons complètement renouvelé nos tracteurs de cour avec des modèles électriques du constructeur Blyyd. Chacun de ces véhicules permet une économie de 15 000 l de gasoil par an.
Propos recueillis par Wilfried Maisy
Leroy Merlin en chiffres
Chiffre d’affaires 2019 : 7,5 Md€
Croissance de 8 % vs 2018
croissance e-commerce plus 40 % 2019/2018
70 000 références en stock avec un objectif de 200 000 références