Le transport routier européen cherche son équilibre. Il fallait s’y attendre. L’annonce par le gouvernement français de l’application, dès le 1er juillet, du Smic français pour tous les conducteurs étrangers effectuant des transports de point à point à l’intérieur de nos frontières rend furieux les transporteurs des pays de l’Est, polonais en tête. Lors de la dernière réunion des ministres européens des Transports qui s’est tenue le 7 juin à Luxembourg la Pologne a dénoncé les règles imposées par la France et l’Allemagne aux transporteurs des autres pays de l’Union. Pour la France, il s’agit des termes de la loi Macron. « Ces règles sont anormales. Elles auront un impact négatif sur le fonctionnement du marché intérieur ” a déclaré le représentant de la Pologne qui demande à la Commission de prendre les mesures urgentes et nécessaires pour assurer le bon fonctionnement du marché européen. A la suite de cette déclaration, dix autres pays ont pris la parole soutenant cette initiative, il s’agit de la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la République tchèque, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie tout comme l’Espagne, le Portugal et l’Irlande.
Alain Vidalies, secrétaire d’État aux Transports, reste sur ses positions et il a répondu que « la meilleure façon de faire fonctionner le marché et de respecter la concurrence c’est d’abord de respecter les règles. Le décret sur le transport routier applicable dès le 1er juillet vise à faire respecter l’application du droit communautaire en créant les conditions d’une concurrence loyale, tout en limitant la charge administrative “.
Actuellement, un conducteur européen pratiquant le cabotage en France est payé selon le contrat de travail de son pays. Les conditions ne sont pas les mêmes en Lituanie, en Roumanie ou en France. Alors pour estomper cette différence, qui crée une concurrence déloyale pour les transporteurs français dans le cadre du cabotage de sept jours, la loi Macron a été écrite sur mesure. Son article 281, ajouté à la suite d’un amendement du gouvernement lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale au mois de février, permet de lutter contre la concurrence des pays socialement mieux-disant. Le régime du conducteur routier étranger doit répondre au droit du travail français, dès son entrée sur le territoire français, et non plus au bout de sept jours. Par exemple, un conducteur polonais devrait être payé 9,67 € brut de l’heure, au lieu des 3 € (environ) qu’il perçoit dans son pays.
Des contrôles compliqués à mettre en place
En ce qui concerne la rémunération minimum, on peut répartir les pays européens en 3 groupes Au plus bas, Bulgarie, Roumanie, Lituanie, Lettonie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Slovaquie, Pologne, Croatie pour des salaires allant de 157 à 372 €. Les salaires médians, Portugal, Grèce, Malte, Espagne, Slovénie entre 566 et 784 €. Et les pays où ils sont les plus hauts Royaume-Uni, France, Irlande, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Allemagne, de 1264 à 1874 € (source Eurostat). La disparité est grande et sur le plan de la concurrence, le fossé est infranchissable.
L’application de cette loi amène à quelques questions pour l’instant sans réponse. La première étant « comment vont se dérouler les contrôles » alors que nous savons qu’aujourd’hui ils ne sont pas suffisamment nombreux, faute de personnel. Ensuite, il y a les entreprises françaises qui ont créé des filiales dans les pays justement socialement moins chers. Enfin, il y a le joug de la Commission Européenne qui a déjà bataillé avec l’Allemagne, un pays qui a établi des règles à peu près semblables et qui passent très mal dans les instances communautaires, au nom de la libre concurrence.
Nouvelle règle. Les transporteurs attendent les résultats
Dès le 1er juillet, un conducteur étranger effectuant des transports à l’intérieur du territoire français sera payé au minimum au Smic français si celui-ci est supérieur à celui de son pays d’origine. Mais aussi les autres règles sociales, comme les congés payés, devront être appliquées. Les charges sociales quant à ellles resteront celles du pays d’origine … La même règle est appliquée en transport international partant ou arrivant en France. Sur un Varsovie-Bordeaux, le conducteur sera assujetti aux règles sociales françaises dès le passage de la frontière. Mais il ne l’est pas s’il ne fait que traverser la France, de Porto à Hambourg par exemple.
Si les employeurs seront tenus d’appliquer, dès leur entrée dans l’Hexagone, les règles sociales françaises, et notamment le salaire minimum, les charges sociales, elles, resteront celles du pays d’origine. Donc tout ceci est extrêmement complexe et on peut se demander comment les contrôles seront effectués pour des entreprises dont les sièges sont hors de France. Les contrôles aléatoires sont prévus, comme c’est déjà le cas, par les contrôleurs des transports et les forces de l’ordre, mais aussi sur les bulletins de salaire en remontant sur 18 mois … difficile d’imaginer les conducteurs se promener avec une liasse de feuilles de paie. A suivre !