Le lent déploiement des autoroutes ferroviaires

Annoncée pour 2024, l’entrée en service de la nouvelle autoroute ferroviaire entre le Cotentin et le pays basque français complètera la courte liste des itinéraires sur lesquels des semi-remorques non accompagnées peuvent être acheminées sur des trains.

Pour tous ceux qui ne se sont jamais confrontés aux problèmes pratiques du transport de camions par chemin de fer, le « ferroutage » ou le « transport multimodal rail-route » apparaît comme une solution de bon sens dont la généralisation est souhaitable. Si elle était à la fois facile à déployer, indiscutablement rentable pour tous les acteurs impliqués tout en étant aussi rapide et ponctuelle que le transport exclusivement routier, la solution rail-route se serait imposée depuis longtemps. Elle a d’ailleurs expérimenté de multiples formules (UFR, Kangourou, Poids Lourds Express, etc.) depuis plus d’un siècle sans jamais dépasser des marchés de niches.

Que met-on sur le train ?

Mettre un véhicule routier sur un véhicule ferroviaire revient à transporter un poids mort important par rapport à la charge utile. Le coût du transport augmente en conséquence. Le transport multimodal concerne donc prioritairement des conteneurs ou des caisses mobiles compatibles avec la manutention verticale par pinces. Ils sont appelés « unités de transport intermodal » ou UTI. Avec ces contenants, le châssis de la semi-remorque ne voyage pas. Cette forme de multimodalité représente l’essentiel du transport combiné rail-route (TCRR).

Dans le cas des autoroutes ferroviaires, il s’agit de transporter des semi-remorques ordinaires. Leur inscription dans les gabarits ferroviaires (il y en a plusieurs !) impose le recours à des wagons surbaissées. Le chargement et le déchargement des véhicules routiers sur ces wagons sont effectués après pivotement du berceau du wagon par rapport à la voie ferrée (système français ModaLohr de Lohr Industrie) ou après translation horizontale du berceau parallèlement à la voie (système allemand CargoBeamer). Ces systèmes sont incompatibles entre eux et nécessitent un équipement spécifique du terminal intermodal.

Les anciens systèmes UFR et Kangourou imposaient des semi-remorques adaptées. La démarche moderne consiste à éviter le recours à des véhicules routiers spécifiques sur les autoroutes ferroviaires.

Qui accompagne la remorque ?

Faire voyager une semi-remorque avec son tracteur routier et le chauffeur de celui-ci augmente le poids mort et peut se révéler contreproductif. Le transport ferroviaire de l’ensemble routier complet et de son chauffeur ne se justifie que sur de courtes distances pour le franchissement d’un obstacle naturel comme une montagne (autoroute ferroviaire alpine « AFA » sur 175 km entre Bourgneuf-Aiton et Orbassano) ou un espace maritime (La Manche sur 50 km de Coquelles à Folkestone avec ShuttleFreight d’Eurotunnel/Getlink).

Lorsque la semi-remorque voyage seule sur le train, il faut organiser son chargement et son déchargement, mais aussi les dessertes terminales ou encadrantes. Les tracteurs et les chauffeurs nécessaires doivent être disponibles dans ce but. Planification et ressources tant humaines que matérielles doivent s’aligner sur les horaires ferroviaires.

Les limites des autoroutes ferroviaires

Contrairement à ce qu’imagine le décideur politique qui survole ses sujets, l’autoroute ferroviaire est bornée dans les quatre dimensions, voire davantage. En hauteur et en largeur, le gabarit ferroviaire limite les dimensions des véhicules transportables, sans parler des matières dangereuses interdites en tunnel. En longueur, un train est contraint à la fois par les dimensions des cantons de signalisation sur la ligne parcourue, par la longueur des voies d’évitement et par la résistance des attelages. Enfin, le principal facteur limitant est le temps. Chaque train se voit affecter une période d’occupation de la ligne appelée « sillon ». La sécurité impose un espacement des sillons afin d’espacer les trains. Il en résulte une capacité maximale pour chaque ligne. Les temps d’attente avant chargement sur le train et avant reprise de la remorque pour son acheminement routier terminal pénalisent les autoroutes ferroviaires par rapport à un transport exclusivement routier.

La rigidité des dessertes

Depuis les années 1960, la granularité du fret confié au chemin de fer est passée du colis (messagerie), puis au wagon isolé et maintenant au train entier. Fret SNCF ne cache pas que le transport ferroviaire n’est rentable que pour des trains entiers roulant sur au moins 400 km dans le cadre de relations point à point sans recomposition intermédiaire du train. La désaffectation de nombreux triages ferroviaires ou l’arrêt du tri des wagons par gravité dans les triages subsistants illustrent cette orientation. Pour le ferroutage, le seuil de rentabilité serait même de 600 km, ce qui exclut Paris-Lyon hors subventions.

Les autoroutes ferroviaires sont des services « point à point », généralement sans desserte intermédiaire. Dit autrement, les semi-remorques traversent la France depuis une plateforme de concentration des flux jusqu’à la plateforme d’éclatement des flux à l’autre extrémité de l’autoroute ferroviaire. Tout arrêt intermédiaire pour débarquer un véhicule provoquerait un allongement du temps de parcours et une augmentation des coûts.

Le réseau français des autoroutes ferroviaires

Le tunnel sous la Manche ne fait pas partie du réseau SNCF. Sur celui-ci, des services d’autoroutes ferroviaires sont proposés notamment par VIIA (filiale de la SNCF à travers Rail Logistics Europe « RLE ») et par Cargobeamer. VIIA exploite notamment l’AFA, mais aussi Perpignan-Bettembourg (service « Lorry-Rail » à destination du Luxembourg), Calais-Perpignan, Barcelone-Bettembourg et Sète-Valenton depuis le 17 novembre 2022 en attendant Sète-Calais en 2023. Cargobeamer intervient sur Calais-Perpignan, Calais-Domodossola (Italie), Perpignan-Kaldenkirchen (Allemagne) à partir de ses propres terminaux. Précisons que la desserte de Calais intéresse particulièrement les frets exclus du tunnel sous la Manche. Aux autoroutes ferroviaires sur lesquelles tous les transporteurs peuvent réserver une place pour leurs semi-remorques s’ajoutent des services dédiés comme Sète-Noisy-le-Sec opéré par VIIA pour Ekol Logistics.

La LOM favorise le TCRR

L’ouverture par Brittany Ferries en 2024 de l’autoroute ferroviaire entre le port de Cherbourg (péninsule du Cotentin) et Mouguerre (près de Bayonne, pays basque français) évite la circulation sur les routes françaises des semi-remorques échangées entre les îles britanniques et la péninsule ibérique. Ce service s’inscrit dans le contexte de l’appel à projets (clôturé le 31 mai 2022) pour le développement de nouveaux services d’autoroutes ferroviaires sur la façade Atlantique et dans celui de l’article 178 de la loi d’orientation des mobilités (« LOM » du 24 décembre 2019) qui comprend le soutien au report modal et au développement du transport combiné. Brittany Ferries a commandé 40 wagons ModaLhor pour Cherbourg-Mouguerre, ce qui laisse supposer qu’il y aura un train par jour et par sens.

Soutien de l’Etat et des collectivités locales, pénurie de chauffeurs, réduction des émissions de CO2 et saturation des axes routiers favorisent le développement des autoroutes ferroviaires. Les contraintes inhérentes à leur formule fixent par avance leurs limites de capacité et leurs seuils de rentabilité.

 

Crédit photo : VIIA.

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