Le camion, champion de l’économie de carburant

Avant l’envolée du prix du gazole, les constructeurs de poids lourds étaient déjà contraints de réduire leurs consommations par la réglementation européenne. Les progrès qu’ils ont accomplis en moins de dix ans sont exceptionnels.

En 2022, comme en 2021, pas moins de 96% des camions immatriculés en France sont des diesels. Malgré toutes les annonces à propos des énergies alternatives, le diesel reste au cœur du marché. Cette situation devrait perdurer à moyen terme.

Compétitivité et contrainte réglementaire

Réduire la consommation est un double impératif pour les constructeurs. Leurs clients sont attentifs au coût total de détention (TCO) tandis que la réglementation européenne impose de réduire de 30% les émissions de CO2 en 2030 par rapport à la période de référence 2019-2020. Les émissions mesurées du réservoir à l’échappement dépendent des consommations, il faut donc les réduire. Tous les constructeurs et motoristes s’y emploient. Le législateur devrait pour sa part considérer les émissions en analyse du cycle de vie (ACV) afin d’avoir une vision environnementale moins myope, mais c’est un autre débat.

Abaisser le régime réduit la consommation

La tendance lourde est le downspeeding, c’est-à-dire la réduction du régime moteur. Il s’agit d’obtenir le couple maximal avec une vitesse de rotation la plus faible possible. Ce choix entraîne l’éviction des moteurs de 10-11 litres qui sont désormais exclus des applications longue distance. Longtemps champion de la puissance au litre, FPT délaisse son moteur Cursor 11 (11,118 l) et mise désormais sur son Cursor 13 (12,882 l) pour les applications routières lourdes. De même, le MAN D20 (10,518 l) s’est effacé. Cette situation confirme le « 13-litres » en tant que cœur de gamme pour les tracteurs routiers.

Il est désormais habituel d’approcher du couple maximal dès 900 tr/min. En conséquence, le rapport de pont est allongé et le régime à 85 ou 90 km/h est étonnamment bas. Il l’est plus encore lorsque le profil de l’itinéraire permet une utilisation ponctuelle d’un rapport surmultiplié comme l’overdrive (OD) des boîtes G25 et G33 qui sont au centre des chaînes cinématiques « Super » de Scania.

Transmission et auxiliaires en roue libre

L’optimisation de la combustion avec une injection décomposée en plusieurs phases a été remarquée lors de l’apparition du moteur OM471 dont la troisième génération (OM471.3) équipe le Mercedes Actros. Les auxiliaires « intelligents » (pompes, compresseur, alternateur) limitent leur consommation de puissance en s’activant préférentiellement lors des phases de ralentissement. Apparu sur certains moteurs dès la génération Euro 5, ce comportement des auxiliaires est aujourd’hui généralisé.

Les fonctions « roue libre » sont activées différemment selon les constructeurs. Certains les inhibent lorsque le régulateur n’est pas actif. Volvo permet son déclenchement volontaire par pression sur un bouton en-dessous de 55 km/h. Sur un itinéraire horizontal, MAN fait légèrement osciller la vitesse autour de celle réglée au niveau du régulateur afin de créer des périodes de roue libre indépendamment du relief.

Métal, plastique et logiciel n’évoluent pas aux mêmes rythmes

Les cycles industriels étant rythmés par les délais d’amortissement, un bloc moteur, une boîte de vitesses ou une cabine ne sont remplacés qu’après quinze à trente ans. Les organes concernés évoluent au cours de cette période et leurs performances progressent, mais leurs bases restent inchangées. L’actualisation très profonde de la gamme MAN début 2020 illustre le potentiel d’évolution de ces bases techniques autant que les apports immatériels du logiciel à un organe métallique.

Les échéances des cycles industriels autant que l’affectation sélective des budgets R&D expliquent qu’aucun constructeur ne réunit à ce jour l’ensemble des innovations du marché. Le décalage est flagrant entre le rythme d’évolution des pièces métalliques (bloc moteur, emboutis de cabine, etc.), celui des pièces en plastique (éléments de carrosserie esthétiques ou aérodynamiques, intérieur de cabine, etc.) et celui du logiciel. Le temps se compte en décennies pour le métal, en années pour le plastique et en mois pour le logiciel.

A chacun son « plus »

La nouvelle génération de cabines DAF montée sur les XD, XF, XG et XG+ se singularise par une réduction de consommation obtenue par l’aérodynamisme. Ce constructeur a misé sur un léger allongement de l’avant du véhicule à l’occasion d’une refonte totale de sa cabine. Chez Mercedes, les caméras de rétrovision (mirrorcams) se justifient sur l’Actros par un abaissement de la consommation d’au moins 1% grâce à un Cx réduit si on le compare à celui de miroirs traditionnels.

Alors que Daf a totalement réinventé ses cabines sans révolutionner sa chaîne cinématique, Scania a fait l’inverse. Les cabines Scania restent celles de 2016, mais la chaîne cinématique « Super » réunit un moteur 13 litres, une boîte (G25, G33, G38) et un pont profondément remaniés au bénéfice de la consommation.

Au sein du groupe Volvo, c’est le turbo compound qui est au centre de la démarche. Il équipe les Volvo FH i-Save ainsi que les versions « TC » des Renault T. Aujourd’hui fiabilisé, ce dispositif récupère de l’énergie cinétique au niveau du turbo et la renvoie dans la chaîne cinématique. Avec l’i-Save, une configuration qui aurait nécessité un rapport de pont 2,64 se contente d’un 2,47 tandis que le 2,47 est remplacé par un 2,31 grâce au couple maximal du moteur Volvo turbo compound atteint vers 980 tr/min.

Aucun camion ne concentre toutes les innovations

On se surprend à rêver d’un camion qui réunirait l’ensemble des innovations qui font la valeur de chaque marque. Ce camion qui associerait l’aérodynamisme d’un DAF avec la chaîne cinématique Scania Super complétée d’un turbo compound Volvo et d’un régulateur Mercedes n’existe pas.

Les boîtes automatiques à convertisseur de couple Allison réduisent elles aussi leur consommation. Allison a amélioré ses logiciels de pilotage (FuelSense 2.0). Outre le passage automatique au neutre, Allison a introduit une infinité de points de changement de rapports déterminés par de multiples paramètres.

La conduite devient l’affaire des satellites

Avec un camion, il faut conduire une masse et non une puissance. Pour cela, il faut exploiter le relief. Un régulateur prédictif associé à une localisation par satellites se charge de l’exploitation du relief. Cette aide à la conduite contribue autant à réduire la consommation que l’aérodynamisme et la chaîne cinématique. Apparus en Europe au début des années 2010, ces régulateurs prédictifs ne cessent de progresser. Encore une fois, chaque constructeur ou équipementier lui apporte une caractéristique parfois exclusive.

Malgré le degré de développement technologique, le comportement du conducteur influence toujours la consommation de manière déterminante. La formation à l’éco-conduite reste donc fondamentale. Entre le meilleur et le pire conducteur d’une flotte, la différence entre leurs consommations est du même ordre que la réduction de consommation obtenue depuis dix ans grâce aux progrès techniques. Il faut donc cumuler le bénéfice technique et la qualité de conduite pour tirer pleinement profit des camions actuels.

La technique aide le chauffeur avec des conseils éco-conduite affichés au tableau de bord (ou communiqués par appli) et une notation simple des principaux critères d’évaluation. Au-delà de la conduite, le gonflage correct des pneus, des bâches tendues, un déflecteur convenablement réglé et l’élimination des temps moteur à l’arrêt participent également à l’économie.

Iveco résume l’évolution récente

Entre l’apparition du Stralis XP en 2016 et le lancement du S-Way en 2019, Iveco a introduit en peu de temps de nombreux équipements qui optimisent la consommation de ses modèles routiers lourds. Chez les concurrents d’Iveco, l’arrivée de ces équipements a été égrenée sur une dizaine d’années depuis le début des années 2010 tandis qu’Iveco déployait une gamme gaz (méthane) sans équivalent. Retracer l’évolution récente des Stralis et S-Way résume l’évolution générale de l’offre longue distance.

A partir de 2016, le Stralis XP réunit des auxiliaires intelligents (compresseur débrayable, pompe à débit variable, alternateur intelligent), une boîte ZF Traxon (avec roue libre, régulateur prédictif et mode manuel limité à 60 s), une adaptation du couple selon la charge, un nouveau pont Meritor MS17X Evo, de nombreuses améliorations sur l’ensemble moteur-boîte-pont, des pneus Michelin XLine Energy et une notation en continu de la conduite « Driving Style Evolution ». Déjà présente sur de précédents Stralis, la serrure EcoSwitch limite la vitesse (85 km/h) et l’accélération tout en imposant une loi de changement de rapport orientée vers l’économie. La serrure EcoSwitch est un moyen de brider le camion au bénéfice de la consommation.

En 2019, le S-Way entre en scène et se distingue extérieurement du Stralis par le masquage des marches, par une clim de nuit qui n’est plus en toiture ainsi que par le remplacement des coins de calandre, des coins de pare-brise, des jupes, du kit aérodynamique et des rétroviseurs. Iveco annonce que ces changements améliorent le Cx de 12% et réduisent la consommation de 4%. Le S-Way se caractérise également par l’installation systématique de la télématique (portail Iveco On relié à la Control Room, appli EasyWay) ainsi que par le passage du 11-litres au 13-litres. Ce changement de motorisation a été réalisé en maîtrisant l’augmentation de la masse, limitée à 54 kg. Il provoque un downspeeding (-1% de consommation) qui permet d’utiliser un rapport de pont 2,31 avec des pneus 315/70, ou 2,47 avec des pneus 315/80. L’optimisation de la transmission comprend le pont MS17FE (fuel efficiency, -0,5% de consommation) et une boîte avec un dernier rapport en prise directe. Pour les grandes flottes, le mode Eco+ interdit la désactivation du GPS prédictif ou de la roue libre tout en limitant le temps moteur à l’arrêt. L’amélioration du taux de compression et l’emploi de lubrifiants à faible viscosité participent aussi à l’économie. Le score d’éco-conduite intègre l’activation des aides à la conduite, notamment celle du régulateur prédictif. La pression des pneus mesurée par TPMS est annoncée si elle influence défavorablement la consommation.

Et ce n’est pas fini ! En 2024, Iveco déploiera une nouvelle série d’innovations favorables à la réduction de la consommation tant pour ses modèles gaz que pour ses modèles diesel.

Ses concurrents ne sont pas en reste. L’entrée en vigueur de la norme Euro 7 en 2025 imposera un bond technologique comprenant une refonte des chaînes cinématiques et de la dépollution associée. Les coûts sont tels que les motoristes ne pourront pas maintenir des gammes de moteurs aussi étendues qu’aujourd’hui. Le groupe Daimler abandonnera ses moteurs OM934 et 936 au profit de moteurs conçus par Cummins. Comme la transition énergétique, le renforcement du niveau d’exigence des normes environnementales a lieu au bénéfice des équipementiers capables de massifier la production des organes livrés aux constructeurs.

Crédit photo : Daf Trucks

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