Article rédigé par Christelle Bretaudeau dans la 6e édition de TRM Le Guide
Un projet informatique sous-tend une véritable stratégie d’entreprise, qu’il s’agisse de réduire ses coûts d’exploitation ou de proposer de nouveaux services innovants. Les outils devant communiquer entre eux, la démarche doit être globale, et impliquer tous les collaborateurs.
On ne fera jamais mieux pour un exploitant en terme de rapidité que la gomme et le papier ! Et au prix où Microsoft fournit Excel, on peut le considérer comme l’outil informatique le plus rentable du marché. Alors finalement pourquoi investir dans un outil informatique ?
Le début de la réponse se cache dans la formulation de la question : plutôt qu’un outil informatique, on parle aujourd’hui de système d’information. Ce terme induit des notions de flux, de circulation et de partage de l’information.
Les limites du modèle papier
En effet, lorsque l’on effectue son travail d’exploitation sur un planning papier ou à partir de fiches T, avec en prime des liasses d’émargés à collecter, à traiter, à pointer avant de facturer, il faut bien à un moment réaliser une saisie informatique. Les étapes de facturation et de comptabilité en sont deux exemples incontournables.
Des collaborateurs de l’entreprise sont donc dédiés à la saisie d’éléments qui ne l’ont pas été en amont. Ces personnes saisissent des informations qu’elles dominent mal. Elles ne sont ni productives ni pertinentes, peu capables de détecter des erreurs car elles n’ont pas de point de repère. Elles ne manipulent pas au quotidien les spécificités du métier.
Ainsi, on trouve parfois d’autres postes dans l’entreprise dont une partie du temps est consacrée au contrôle des saisies des autres ; avec l’argument preuve que régulièrement il y a des erreurs constatées. Cette organisation est auto-génératrice de tâches à non-valeur ajoutée !
Il a toujours des outils informatiques chez un transporteur, au sens le plus strict du mot outil. Mais seules les fonctions basiques de collecte de données sont la plupart du temps utilisées, comme la saisie des commandes de transport pour facturer.
Décider des projets prioritaires et les planifier
Les boites mails, souvent surchargées, servent à gérer des dossiers en lieu et place d’une véritable arborescence informatique. En complément, de multiples fichiers Excel sont exploités. Ces usages parfois intensifs, identifiés lors des audits que je peux mener, démontrent deux réalités : d’une part, le besoin de communiquer avec ses clients : demande de prix, envois de commandes, suivi de la prestation de transport, pointage des transports. D’autre part, le besoin d’avoir une base avec des données, permettant de pouvoir faire du reporting, d’obtenir des états statistiques, transmettre une réponse filtrée ou de réaliser des comparatifs entre différentes périodes. Les états de parc, les tableaux de suivi des kilomètres parcourus mensuels, les tableaux de suivi des litiges… en sont quelques exemples.
Des doublons à éviter
Mais ces pratiques posent des problèmes de productivité et atteignent très vite leurs limites. La première limitation est le partage de l’information. Parfois, les boites mails sont partagées mais cette gestion reste délicate et peu développée. Quant aux fichiers excel, ils sont très rarement en mode partagé et ne sont pas non plus déposés sur des plateformes de travail collaboratives que peuvent être Google Drive ou Teams. Cette limite engendre alors plusieurs effets néfastes : le retour au papier excessif, comme l’impression de mails permettant de faire circuler l’information dans les différents services de l’entreprise. La dématérialisation est réduite à un rêve lointain. En outre, chacun crée et alimente des fichiers Excel individuels, qui gèrent les mêmes données. Les collaborateurs d’une même organisation et parfois même d’un même service ignorent que leurs collègues gèrent des tableurs quasi identique !
La deuxième limitation se trouve côté client. En effet, les chargeurs sont devenus depuis plusieurs années, plus exigeants sur ces aspects de partage de l’information. Ils demandent désormais des systèmes d’envois automatiques des commandes directement extraites de leurs ERP métier. Ils attendent que les statuts d’une commande, du chargement à la livraison, remontent dans leurs logiciels métier en temps réel.

A l’apparition de ces nouvelles exigences clients, il y a environ 5 ans, aucune réponse satisfaisante n’a été apportée. Ils ont donc cherché et trouvé des solutions alternatives : création d’applications pour smartphone, souscription à des plateformes telles que Shippeo ou Transporeon. Ces sujets sont des préoccupations grandissantes chez les transporteurs.
Pour compléter la liste des produits informatiques présents dans les entreprises, il faut ajouter les solutions d’informatique embarquée très répandues sur les parcs roulants mais trop souvent réduites à leurs simples fonctions de géolocalisation. Il est regrettable de constater que ces technologies, pourtant coûteuses, ne sont pas exploitées au maximum de leurs capacités.
Vers un système d’information
Perte de temps, improductivité, sources d’erreurs de saisie, quantité extraordinaire de papier brassé, impasse commerciale avec les clients, telles sont des problématiques des dirigeants. Ces constats mènent parfois à une décision rapide d’achat d’un logiciel. Très vite, lorsque les premières réunions de travail débutent, il apparait que de nombreux besoins vont s’exprimer : gérer son parc en lien avec son planning d’exploitation ; communiquer avec ses clients ; contrôler ses activités de quai et suivre les activités de chargement et de livraison sur la route ; mieux manager ses conducteurs ; établir des indicateurs de contrôle de gestion, de reporting, d’alertes diverses ; et enfin, gérer distinctement les métiers et les savoir-faire de l’entreprise (logistique, différentes typologies de transport).
Une vision stratégique qui se nourrit d’informatique
Répondre à ces besoins est possible mais comporte quelques écueils. Il faut savoir que rien ne fonctionnera naturellement et immédiatement. Aucune solution ne saura tout faire ; il faudra investir dans plusieurs outils et inévitablement, les faire communiquer ensemble.
De plus, la durée réelle nécessaire au déploiement de ces projets est toujours plus longue que celle imaginée au départ. Le montant de l’investissement est aussi souvent sous-estimé. En conclusion, la prise en compte de ces critères est essentielle à la bonne réussite d’un projet.
La décision d’investir
Face à ces enjeux financiers majeurs, comment se décider à faire cet investissement ? La phase d’analyse est primordiale. Elle va déboucher sur un schéma directeur qui va permettre
– De définir les différents projets
– De calculer leurs rentabilités (retour sur investissement)
-De décider des projets prioritaires et de les planifier
La stratégie de l’entreprise doit être au centre de la démarche. Elle seule va permettre de répondre à la question : «Pourquoi devons-nous investir ? »
On peut distinguer 3 types de stratégies :
- Les entreprises exploitant au papier atteignant les limites du système, décrites plus haut
- Les entreprises innovantes qui cherchent en permanence à proposer à leurs clients de nouveaux services.
- Les entreprises qui renouvellent leurs outils parce que leurs logiciels actuels sont arrivés en bout de course technologique (plateformes techniques en fin de vie et plus maintenues, bases de données inadéquates provoquant des très fortes lenteurs, éditeurs ne pouvant répondre aux demandes de développements)
Sudre pas à pas
La première catégorie va construire son retour sur investissement sur les coûts cachés induits par les mauvaises pratiques au sein de son entreprise. Les coûts cachés sont masqués et indolores mais bien présents. Ils représentent non seulement des montants bien plus importants que ce que l’on pense, mais ils sont aussi des freins au développement et à la croissance. En effet, dès que les volumes de commandes augmentent sensiblement, ce type d’organisation va devoir créer des postes sédentaires supplémentaires. On ne pourra pas augmenter la productivité du personnel en place. Par conséquent, le poids des charges de structure reste inchangé ou croît.
Prenons en exemple les Transports Sudre (85), qui ont vécu cette transformation. A l’issue d’un audit organisationnel, ils se sont aperçus, il y a 3 ans, qu’ils ne pouvaient plus avancer dans leur organisation. Trop de papiers, pas d’outils pour avoir un suivi à distance de leur deuxième agence à Irun. Ils étaient dans l’impossibilité d’extraire des données fiables de volumétrie de commandes par activité, par exemple afin de jauger du bon équilibre de la charge de travail de chaque exploitant.
Le projet se fit en deux étapes. La première fut de passer sur un planning excel afin de pouvoir partager des informations avec l’Espagne et habituer les équipes à collaborer. Ce jalon a permis aux exploitants de bien exprimer leurs attentes vis-à-vis d’un TMS. Les soutenances et donc le choix de l’éditeur a été participatif. Malgré un déploiement plutôt rapide, l’acquisition des bonnes pratiques par l’ensemble des salariés est longue et toujours en cours.

Concernant la deuxième catégorie d’entreprises, la démarche est toute autre : L’investissement doit être rentabilisé via la valeur ajoutée induite par la mise en place de nouvelles offres : traçabilité des enlèvements et des livraisons tout au long de la réalisation de la prestation de transport en temps réel, plans de transport pré planifiés pour annoncer dès la prise de commande la date de livraison garantie, outils de communication modernes….
Renouvellement total chez Transport Richard
Enfin la dernière catégorie assurera la continuité de sa politique d’investissement débutée il y a plusieurs années en maintenant son niveau technologique tout en continuant à se moderniser et accroître la performance de son organisation. Elle peut naturellement chercher à innover tout en renouvelant ses outils.
À l’exemple des Transports Richard (44) qui vient de remplacer entièrement ses outils de gestion métier (FMS-TMS-Informatique embarquée). Nous avons constaté que lorsqu’une entreprise met en place un système d’information, elle veille à rester au niveau du marché. Au-delà du besoin de renouvellement, la direction a une vision stratégique qui se nourrit d’informatique. La démarche est globale. Sébastien Deniau, directeur général, liste les enjeux identifiés pour son projet : commercial dans la relation client ; RH dans la relation employeur /employé ; technique dans la gestion du parc ; financier dans le pilotage de l’activité.
L’informatique comme stratégie
Investir oblige à réussir son projet pour garantir un retour sur investissement. Cette réussite est conditionnée à de multiples composantes. L’une d’elle est de bien identifier le périmètre, les contours de cette nouvelle architecture informatique. Déployer ne serait-ce qu’un logiciel aura des impacts dans tous les services car une entreprise est un ensemble de fonctions interconnectées. Qu’ils soient positifs ou négatifs, le résultat sera le même car dans le premier cas, le bénéfice potentiel ne sera pas connu et donc ne sera mis en œuvre, et dans l’autre, l’effet de bord sera inévitable.
Prendre du temps pour scruter son projet sous un angle à 360 degrés est indispensable.
En conclusion, l’informatique ne doit plus être considéré comme une dépense contraignante mais un élément constituant de la stratégie d’une entreprise de transport comme peut l’être les achats de véhicules.
Christelle Bretaudeau
Photos WM / sensimages.fr