Arnaud Ageneau, le jeune co-dirigeant du groupe de Cholet, explique sa stratégie informatique de contrôle de gestion, et son implication dans la plate-forme GedMouv, qu’il souhaite au cœur des relations entre chargeurs et transporteurs.
Ageneau, c’est d’abord un clan, une histoire de famille qui commence en 1962 avec Gustave et Marie-Thérèse, le couple fondateur de l’entreprise ; puis avec Jean-Pierre, auquel la ville de Cholet (dans les Pays de Loire) a dédié une rue, signe du dynamisme et de l’implication de la PME dans l’économie locale. Depuis le décès de Jean-Pierre en 2015, les Transports Ageneau sont dirigés par Ludovic Brin, ainsi que Philippe, Guillaume, Charlène et Arnaud Ageneau.
Au début du mois de juillet 2017, Arnaud me récupère à la gare de Cholet pour m’accompagner au cours de ce premier reportage du Guide Technologique. Sur la route de l’entreprise, la lumière est belle, brillante. Presque une lumière d’hiver. Nous commençons à discuter réseaux, interfaces informatiques et flux de transport… et je ne tarde pas à me féliciter du choix, dans une recherche d’entreprises modèles, compétitives et avancées sur le plan technologique, de ce groupe familial. Une de ces entreprises dont le Guide a vocation à rapporter la parole, pour épauler les autres PME-TPE.

Exploitants : des contrôleurs de gestion
Arnaud Ageneau est un jeune dirigeant de 31 ans, expert en informatique transport. Un stratège qui s’appuie sur une dynamique familiale particulièrement valorisante. « Nous arrivons au terme d’une démarche initiée par mon père, Jean-Pierre Ageneau, commence-t-il. Celui-ci s’est toujours efforcé de construire un contrôle de gestion de plus en plus poussé, d’établir des marges prévisionnelles, de disposer de chiffres fiables nous permettant de prendre des décisions rapides et pertinentes. L’objectif, c’est de savoir d’une semaine sur l’autre si une boucle est rentable… Aujourd’hui, les exploitants sont devenus de véritables contrôleurs de gestion. Ils disposent d’informations en temps réel, et de statistiques hebdomadaires. Le mardi matin, chacun connaît sa marge de la semaine précédente. Alors forcément, cela crée de la compétitivité, de la motivation. »
Et d’expliquer trois objectifs à l’horizon fin 2017 : l’exploitant doit pouvoir connaître la rentabilité prévisionnelle d’un transport lors de l’affectation, sur la base du temps d’approche, ainsi que des kilomètres et des temps théoriques du transport. Après que le transport ait été effectué, le gestionnaire de flotte et le contrôleur de gestion doivent pouvoir calculer le coût réel de celui-ci, en s’appuyant sur les temps et les kilomètres réels remontés de l’informatique embarqué. L’entreprise, pour sa part, doit pouvoir identifier la rentabilité unitaire d’un client ou d’une tournée, afin d’établir celle du groupe chaque semaine.
La maîtrise de la traçabilité
Je suis au bon endroit, mais aussi au bon moment, en cet été 2017. Car Ageneau Group, dans sa quête de traçabilité en temps réel, fait aujourd’hui face à une problématique nouvelle qu’il partage avec nombre d’entreprises de transport : la maîtrise de ses données, dans le cadre de l’échange d’informations avec ses donneurs d’ordres. Avant d’aborder l’exploitation des logiciels de transport et de parc, les liens avec l’informatique embarquée… Bref, tous ces outils logiciels visant à optimiser les flux et à réduire les coûts d’exploitation, Arnaud Ageneau commence par me parler des liens informatiques existants avec les chargeurs. Des liaisons parfois dangereuses… « Beaucoup de nos clients exigent aujourd’hui de disposer d’une traçabilité d’un bout à l’autre de la chaîne. Nous préférons garder la maîtrise de cette traçabilité, c’est-à-dire des outils informatiques mobiles dans nos camions, mais aussi des plates-formes de communication entre notre système d’information et les leurs. Le danger, bien sûr, c’est de devoir s’interfacer avec de multiples systèmes clients connectés avec autant d’applications disparates sur les smartphones de nos chauffeurs. » Et de citer plusieurs gros donneurs d’ordre — Gémo, Saint-Gobain, Système U — qui proposent leur propre application de suivi sur smartphone pour l’imposer à leurs prestataires de transport. Avec un leitmotiv : si vous voulez charger chez nous, vous téléchargez l’application et vous suivez les instructions !
Le distributeur de vêtements et de chaussures Gémo, par exemple, a adopté en mars 2016 la plateforme collaborative Cinatis Tracking pour « améliorer sa performance transport et booster le chiffre d’affaires de ses 500 magasins », comme l’a déclaré l’éditeur informatique Cinatis dans un communiqué. « Dans le cadre de l’augmentation des fréquences de livraison vers son réseau de vente, Gémo a mis en place une nouvelle organisation transport basée sur 6 plateformes régionales de distribution. Connecté à Geodis, XPO, Astre, De Rijke et Perrenot notamment, Cinatis assure le pilotage des flux, la transmission des ordres de distribution aux plateformes de cross-docking et le tracking temps réel jusqu’aux magasins. » Pour François Le Joncour, directeur Supply Chain chez Gémo, « le transport est aujourd’hui un véritable vecteur de compétitivité et de croissance. L’accélération des livraisons de réassort, le respect du cadencement de la mise en place des nouvelles collections, la diminution du taux de rupture et du time to market sont des enjeux majeurs ».

De Multiples interfaces à régler
Effectivement, Ageneau Group est aussi interfacé avec Cinatis par un échange de données informatisées (EDI). Dans le sens chargeur-transporteur, la commande arrive directement dans le TMS. Dans l’autre, la confirmation de livraison numérisée, ainsi que le détail relatif à chaque roll de vêtements remonte dans le système d’information de Gémo. « Cela marche bien, mais nous avons passé 10 mois à peaufiner cette interface ! », constate Arnaud Ageneau.
Si l’on ne peut blâmer les distributeurs et les industriels de vouloir optimiser leurs processus, les transporteurs voient se multiplier les applications, les besoins d’interfaces. Les conducteurs doivent jongler d’un logiciel à un autre, avec les risques d’erreurs inhérents. Sans parler de la confidentialité des données personnelles ou professionnelles…
Comment, alors, satisfaire ses clients tout en gardant la main sur les données ? Pour Arnaud Ageneau, la réponse réside dans GedMouv, une application d’envoie et de suivi des missions développée par H2P (la holding de la bourse de fret B2Pweb et de la plateforme GedTrans de gestion documentaire), une entreprise qui appartient aux professionnels du TRM. GedMouv associe une plateforme web à une application mobile Android et iOS destinée aux smartphones des conducteurs. Ces derniers reçoivent les ordres de transport et valident au fur et à mesure les étapes de livraison (chargé, en cours d’acheminement, livré). L’application peut aussi associer aux statuts de livraison une photo de la CMR, des commentaires ou d’éventuelles notifications d’incident. Elle remonte les données vers la plateforme web. Les gestionnaires peuvent y accéder indépendamment d’un TMS ou d’un système de gestion de flotte existant. De même, les donneurs d’ordres bénéficient d’un identifiant pour suivre en temps réel l’évolution des tournées, et en informer eux-mêmes leurs propres clients. « À l’exemple des livraisons de pizzas chez Domino, le destinataire final visualise la préparation, la cuisson puis la livraison de sa pizza », explique Arnaud Ageneau, qui se pose en porte-drapeau de GedMouv : « Cet outil est le nôtre, puisque il a été développé avec le concours des transporteurs afin de garantir la sécurité et la protection des données métier. L’objectif est qu’il soit utilisé par un maximum d’entreprises de transport, en anticipation des systèmes initiés par les chargeurs. Aujourd’hui nous conseillons à ces derniers d’attendre avant de développer quoique ce soit, car nous allons leur proposer un système de suivi pertinent. Mais, pour être parfaitement efficace dans l’optimisation des processus sur toute la chaîne de transport, GedMouv devra communiquer avec les TMS des transporteurs et des chargeurs. En ce qui nous concerne, l’interface avec GPI est en cours…»

GedMouv : l’union pourrait faire la force
L’idée est que toute la profession adopte cette logique. Et dans cette démarche, le nœud du problème est effectivement informatique : pour éviter les ressaisies de toutes les informations, GedMouv devra développer une passerelle avec les principaux éditeurs de logiciels de transport, ou plutôt, s’appuyer sur les transporteurs pour que ces derniers exigent le développement auprès de leurs prestataires. La holding H2P étant composée de plusieurs centaines de transporteurs actionnaires, l’union pourrait faire la force. « C’est l’urgence, estime le jeune dirigeant. Nous n’avons pas encore de clients qui utilisent la plateforme, mais avons bien l’intention d’en faire la promotion. Avec deux arguments forts : d’une part, un chargeur qui utilise GedMouv et souhaite changer de transporteur trouvera facilement un autre prestataire qui utilise la plate-forme. Il n’aura pas besoin de s’interfacer de nouveau pour obtenir la traçabilité de ses marchandises. Il économisera donc du temps et de l’argent. D’autre part, en cas d’affrètement, le transporteur sous-traitant pourra transmettre les mêmes informations sur GedMouv, et le chargeur disposer du même suivi. »
GedMouv est également relié à une application mobile, laquelle est surtout utile aux flottes non équipées d’informatique embarquée. Ageneau, a contrario, exploite déjà des ordinateurs de bord Trimble et ses fonctions de suivi de tournée, parmi d’autres outils de gestion sociale et technique. Deux cent véhicules industriels sont équipés des boîtiers TruckforU et FleetXPS du fournisseur américain. « GPI et l’informatique embarquée de Trimble étant déjà interfacés, la communication automatisée entre GPI et GedMouv permettra à nos exploitants de travailler sur une interface unique, le TMS d’Artagnan », indique Arnaud Ageneau. Pour la petite histoire, Ageneau fut, en novembre 2015, la première flotte utilisatrice d’une interface entre les deux solutions. « Grâce à cette communication bidirectionnelle, nous envoyons les feuilles de route électroniques du TMS dans les véhicules, et dans l’autre sens, grâce à des scanners embarqués, nous récupérons les BL au bureau en temps réel », précise le gestionnaire. Notons que, contrairement à une application sur smartphone, l’informatique embarquée Trimble est attachée au véhicule. En clair, un chauffeur qui ne souhaite pas être géolocalisé peut éteindre son téléphone. Mais il ne peut désactiver un boîtier GPS-GPRS. Enfermé dans la cabine, seul un ordinateur de bord assure la géolocalisation et l’enregistrement d’informations horodatées régulières et fiables, tant pour le transporteur que pour son client.
Une chaîne d’information sans ressaisies
Arnaud Ageneau explique, en pratique, comment se déroule la chaine d’information, sans ressaisies : « Toutes les données relatives aux conducteurs sont notées dans notre logiciel de gestion parc (GPI parc) et sont transférées automatiquement dans les autres applications : La paye, l’informatique embarquée, le logiciel de formation et le suivi des temps (de l’éditeur Solid, filiale de Trimble). Le principe est le même concernant les infos liées aux matériels roulants et aux pièces détachées. Nous avons ainsi créé une unique interface, une unique saisie. L’objectif premier du TMS, est, en effet, de n’utiliser ni papier ni même de tableau Excel. »
Le TMS GPI D’artagnan est, pour sa part, l’entrée unique des infos liée aux clients, aux fournisseurs et à la logistique externe. « Un client nous envoie les commandes soit par Edi, soit par email ou fax, (et donc aussi bientôt via GedMouv), développe-t-il. Tous les documents sont dématérialisés. On n’imprime pas d’ordres de transport. Le récépissé émargé, scanné, est relié à l’ordre. Il est immédiatement disponible sur l’écran de l’exploitant. Résultat : 10 minutes après la livraison, on peut lancer la facturation. Avant, il fallait attendre le retour des chauffeurs, chaque vendredi, puis le traitement administratif la semaine suivante. En conséquence, notre service facturation a gagné beaucoup de temps. »
Wilfried Maisy