Les industries se passeraient bien de la publicité de reportages télévisés qui se succèdent en ses temps de grève de la SNCF. Mais enfin, les médias nationaux ont compris que l’incidence du manque de conducteurs rejaillit de façon désastreuse sur les activités de nombreuses entreprises. Le fret ferroviaire concerne de nombreux secteurs et essentiellement les produits manufacturiers comme l’acier, les produits alimentaires, comme les céréales, les produits agricoles et alimentaires. Deux exemples significatifs ont été repris par différents médias, car les dirigeants de ces entreprises ont fait part de leur ras-le-bol.
Grève SNCF, casse-tête dans l’organisation des flux (photo Soufflet)
Le groupe Soufflet, basé à Nogent-sur-Seine, est un leader de l’agroalimentaire français de dimension internationale, le premier collecteur de céréales à capitaux familiaux et l’un des tout premiers meuniers européens avec huit moulins en France et en Belgique. Le groupe emploie 7520 collaborateurs dans 18 pays dont 5362 en France pour un chiffre d’affaires de 4,738 milliards d’euros. Une part importante des expéditions se font par le rail. Aujourd’hui, l’entreprise a de grandes difficultés à satisfaire ses clients. La gestion des flux est complètement désorganisée et inquiète les dirigeants. Les wagons de blé n’arrivent plus devant les silos et dans les ports. « Cette grève est catastrophique et menace la capacité à valoriser les céréales françaises dans les prochains mois. Depuis le début du mois d’avril, nous n’avons pu réaliser que deux trains sur cinq et nous ne pouvons pas compenser les trains annulés par un transport fluvial en péniche ou en camion, en raison, d’une part, des profonds dysfonctionnements des écluses sur l’axe Seine-amont et aussi de la saturation du transport routier. » regrette un responsable de l’entreprise repris par l’AFP.
Les stocks restent dans les silos (photo Soufflet)
D’ailleurs, Philippe Pinta, président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB) annonçait lors d’un point presse le 17 avril, après deux semaines de grève, que la situation était alarmante et engendrait d’importants surcoûts pour la mise en place de solutions logistiques alternatives. Il estimait qu’« il faut compter entre 5 et 20 € de plus par tonne transportée ». Dans un premier temps, ce sont les coopératives et les entreprises privées de négoce qui en font les frais. 15 % des céréales sont acheminées en train, 60 % en camion, et 15 % via le transport fluvial. Mais « il est très difficile de trouver des camions disponibles comme des conducteurs pour les faire rouler. Il faut savoir que pour remplacer un train complet de 1 300 tonnes de céréales, il faut 44 camions » poursuit Philippe Pinta.
Philippe Pinta (photo ministère agriculture)
Les spécialistes précisent aussi que les surcoûts ont une répercussion directe sur la rémunération des agriculteurs. Depuis le début des grèves, « ce sont 70 trains annulés pour notre coopérative agricole ce qui représente plus de 90 000 tonnes de céréales », se désole Sébastien Barthe, responsable céréales chez Axéréal, première coopérative céréalière française qui collecte 5 millions de tonnes de grains auprès de 13 000 adhérents d’un vaste secteur allant du sud de Paris jusqu’au nord de l’Auvergne. La coopérative estime déjà le surcoût direct de ces grèves à près de 900 000 euros.
Carrières de Vignats utilise une société privée, mais la grève des personnels SNCF empêche de rouler (photo SNCF)
L’autre activité lourdement pénalisé est celle du transport de matériaux pour la construction. La société des Carrières de Vignats et de Normandie est présente dans l’Orne (61), le Calvados (14), la Manche (50) et en Seine Maritime (76) et propose une gamme complète de produits, sables, gravillons, ballast, graves, drainant et blocs destinés aux travaux publics, centrales d’enrobés, centrales à béton, pré fabricants, voies ferrées, pistes, sols équestres et divers… cela représente plus de 3 millions de tonnes par an avec 30% de la production qui voyage par le fer vers les clients finaux. Pour l’instant, la perte financière s’élève à 350 000 € et cela impacte lourdement le fonctionnement des sites utilisateurs et des chantiers. « La grève SNCF touche notre société de plein fouet. Même si les Carrières de Vignats travaillent avec l’opérateur privé Euro cargo rail, la grève des agents logistiques et des aiguilleurs ne permet pas aux trains de circuler. Le bilan est pour l’instant catastrophique » regrette Geoffroy Colin, directeur général du groupe employant 55 collaborateurs.
Les carrières peuvent stocker, mais pas expédier (photo carrière Vignats)
Au bout d’un mois de grève, la société compte treize trains supprimés, dont sept de ballast pour la compte de la SNCF, soit 17 000 tonnes de marchandises. « Ces expéditions par fer ne sont pas récupérables, même après la grève, car notre plan de transport est optimisé avec la réservation de sillons sur l’année entière en relation avec notre prestataire Euro cargo rail. Nous sommes sur un schéma rigide. » explique Geoffroy Colin dont l’entreprise doit faire partir au minimum un train par jour. Alors les sociétés du BTP commencent à manquer de matière première. 6000 tonnes ont pu être livrées par camions, mais, comme pour les autres secteurs utilisateurs en panne de réseau ferroviaire, le patron déplore le manque de camions. « Nous faisons face à une pénurie de camions. Mais les céréaliers aussi ont leurs silos pleins. Tout le monde cherche des modes de transports alternatifs. »
La disponibilité des camions de fait rare … (photo JYK)
Cette situation est d’autant plus dommageable que les Carrières de Vignats continuent à miser sur le développement du fret ferroviaire car cela répond à leurs objectifs environnementaux et ce mode de transport est plus sécurisé que la route à condition de financer les infrastructures finales. Par exemple, les Carrières ont déboursé 5,5 millions d’euros sur le site de Vignats en 2015 et 800 000 € à Petit-Couronne (Seine-Maritime) en 2017, pour de nouvelles installations ferroviaires. Aujourd’hui, pour tous ces acteurs économiques incontournables, cette situation ne peut plus durer …