Dupessey : « Le transport, c’est de la joaillerie ! »

Avec Carole Dupessey, Présidente de Dupessey & Co, et sa collaboratrice Audreyne Copet, directrice de la communication & marque du groupe, nous abordons les questions informatiques et sociales des ressources humaines, de la RSE, de la mobilité, de l’optimisation du matériel et de la consommation de carburant. Ancienne avocate, très impliquée dans sa profession, Carole Dupessey porte un discours très humain sur les transformations du TRM,  devant une pénurie croissante de conducteurs.

 

TRM le Guide : Quelles sont selon vous les principales évolutions des métiers du transport ces dernières années ?

Carole Dupessey : Les métiers du transport sont multiples, et se transforment selon des schémas analogues aux évolutions sociétales en France. Il y a 25 ans, les personnes intégraient notre entreprise avec l’envie d’y rester, parfois toute de leur vie. Nous n’avions pas de soucis de recrutement. Aujourd’hui, qu’il s’agisse des conducteurs, des exploitants, des manutentionnaires, des mécaniciens, etc., tous les postes connaissent une pénurie d’emplois. Notre service RH compte deux priorités : bien recruter, et bien intégrer les nouveaux arrivants pour les conserver.

Comment s’expliquent ces difficultés de recrutement ?

Il s’agit tout d’abord d’un changement de mentalité. Les générations précédentes étaient beaucoup plus axées sur le travail comme objectif de vie. L’activité professionnelle était au centre de tout. Aujourd’hui, nos collaborateurs ont une autre vision, ils veulent une vie de famille, et c’est parfaitement compréhensible ! Je le dis régulièrement à nos équipes : on ne reviendra pas en arrière. Il faut accepter que les jeunes ne soient plus prêts à travailler jusqu’à pas d’heure.

Nous le constatons dès le recrutement. Les conducteurs veulent moins partir toute la semaine. C’est un peu compliqué quand on fait du transport international… Et en zone courte, ils demandent à avoir des horaires fixes, par exemple pour aller chercher les enfants à l’école. Ce que l’on peut comprendre, encore une fois. En conséquence, un client en retard, un chargement qui s’éternise peut devenir compliqué à gérer avec son personnel roulant.

 

Cette évolution touche-t-elle aussi le personnel sédentaire ?

Tout à fait. D’ailleurs, il y a deux ans, j’ai fait réduire les heures à l’exploitation. On ne peut plus demander aux gestionnaires de flotte de rester jusqu’à 20h et plus. Il faut s’organiser autrement.  Préserver la vie familiale, c’est tellement important, même si cela complique la vie des patrons d’entreprise. Si l’on n’est pas bien à la maison, cela se répercute au boulot. Tout est lié. Chez Dupessey&Co, nous avons instauré une semaine de congé paternité avant même que le gouvernement prenne des mesures en ce sens –  d’ailleurs, en juillet 2021, la durée légale est passée de 11 à 25 jours.

 

À tous les niveaux de l’entreprise, la révolution de l’informatique, des outils de traçabilité, a profondément transformé les métiers du transport. Comment analysez-vous cet impact ?

Avec le recul, on se rend compte que le “bon chauffeur” d’aujourd’hui n’est pas le “bon chauffeur” d’hier. Jusqu’à il y a une dizaine d’années, on demandait simplement aux conducteurs d’arriver à l’heure au rendez-vous, de ne pas avoir d’accident, de travailler correctement à décharger chez le client. L’instauration d’une politique d’écoconduite – dont je ne nie pas la nécessité tant pour des raisons économiques qu’environnementales – a engendré une vraie remise à plat de ces questions.

Nous disposons aujourd’hui de multiples outils informatiques pour suivre et analyser la consommation de carburant de nos conducteurs, qui est devenue un sujet central. L’informatique embarquée nous permet d’identifier des kilomètres parasites. Forcément, certains chauffeurs qui n’avaient jamais été convoqués et dont on a remis en question le style de vie n’ont pas apprécié le changement. Par exemple, certains faisaient un petit détour pour manger dans un restaurant où ils ont des affinités, et du jour au lendemain, ce n’était plus possible ! Aujourd’hui, on ne ressent plus ces conflits dans l’entreprise. Mais il y a 10 ans, la transition ne s’est pas faite sans mal.

Devant la pénurie de conducteurs, peut-être payons-nous aujourd’hui le prix d’une politique continue de réduction des coûts ?

C’est possible, mais en même temps, quels regrets pourrions-nous avoir ? Il faut bien consommer moins de carburant ! On ne peut pas rester impuissant devant la dégradation de l’environnement, le réchauffement climatique. Et bien sûr, il y a la question économique, la pérennité de l’entreprise. Ne pas réduire notre consommation, donc nos coûts, ce serait mettre en péril la PME et ses emplois.

En 2009, quand J’ai pris la Présidence du groupe pendant la crise économique, nous avons remis à plat la politique RH. Nous avons été obligés de mettre en place des procédures de suivi par géofencing, des indicateurs de rentabilité par tournée, par conducteur. Il nous a fallu améliorer la rentabilité et aller chercher des gains en rationalisant nos processus. 13 ans plus tard, on se rend compte que cette évolution était inéluctable, puisqu’elle nous permet aujourd’hui d’être en phase avec la transition écologique et énergétique. D’ailleurs, la même évolution touche l’exploitation. Après 10 ans d’optimisation continue de nos moyens, une trentaine d’exploitants sont aujourd’hui dédiés à l’optimisation des flux.

 

L’évolution du métier, c’est aussi celle du patron de transport qui doit jongler entre toutes ces problématiques…

Effectivement, en 25 ans de métier, on n’a jamais connu pareille situation. Des coûts qui augmentent à tous les niveaux, des pénuries de matières premières donc des difficultés pour acquérir des véhicules… Sans remettre en cause l’ensemble de notre profession, je milite pour des transporteurs responsables et des flottes « propres », moins polluantes.

Mais au-delà de l’approche énergétique, la dimension RSE (responsabilité sociale des entreprises) me paraît essentielle.

Il n’y a pas que les camions dans la RSE ! La mixité hommes-femmes, le bien-être au travail, la progression de carrière dans l’entreprise, voilà des thèmes qui nous permettent de redonner du sens à nos métiers, et donc de retrouver de l’attractivité.

L’évolution de notre métier est aussi la conséquence des changements de relations commerciales avec les clients. Il y a 20 ans, nous appliquions des augmentations de nos tarifs tous les ans, souvent sans négociation. Forcément, il était plus facile de procéder à des augmentations régulières des salaires. La parole donnée avait un sens. Aujourd’hui, tout est remis en question tout le temps. Il est beaucoup plus difficile de gérer une entreprise de transport.

La RSE, comment cela se passe concrètement chez Dupessey & Co ?

Nous avons un responsable RSE accompagné d’un comité RSE  que nous venons de renforcer. À titre d’exemples, 25 % du résultat annuel est investi dans l’amélioration des conditions de travail. Depuis 2019, tous nos véhicules sont équipés d’une climatisation autonome et d’un réfrigérateur. Chaque année, nous consacrons 1950 heures à la formation de nos équipes. Nous sommes certifiés ISO 9001, 14001, 50001… En outre, depuis 50 ans, nous n’avons jamais réalisé de plan social, même en période de crise. Il faut aussi noter notre engagement dans des actions de solidarité. En 2018, nous avons créé le fonds de dotation Demain, qui soutient des actions de solidarité en matière d’écologie, d’éducation, de santé et de culture.

 

Concernant votre actualité informatique, vous avez récemment lancé une application de communication interne à large spectre, qui est même devenue un outil opérationnel. Expliquez-vous la genèse de ce projet.

Audreyne Copet : En mars 2020, nous avons organisé un événement ouvert à tous les salariés du groupe avec plusieurs thématiques de travail. Les salariés étaient invités à lancer des idées, puis à “liker” les propositions de leurs collègues. Les idées recevant le plus d’approbations ont été étudiées, notamment celles d’un réseau social d’entreprise. In fine, l’application conçue par la start-up Nexenture a été lancée en janvier 2021, après quelques mois de développements et un pilote sur un panel de salariés. Aujourd’hui, sur nos 550 salariés, nous enregistrons 55 % d’utilisateurs actifs, et même deux tiers sur le périmètre Dupessey Transport.

Quels sont les différents modules de l’application ?

Nous développons des informations liées aux ressources humaines, aux questions juridiques, aux formations, que nos différents services mettent à disposition des collaborateurs concernés. Nous utilisons beaucoup de vidéos, de tutoriels. En outre, nous avons orienté cet outil vers des processus métiers. Une partie importante concerne les véhicules. Les conducteurs effectuent un contrôle visuel des camions, et peuvent renseigner différentes informations comme les niveaux de pleins, les dégradations matérielles, etc. Ces données sont transmises au garage. Le conducteur qui envoie une demande de réparation peut vérifier le statut de sa requête – à traiter, en cours, clôturé.

Nous avons appliqué la même logique aux problèmes techniques sur l’informatique embarquée, que les conducteurs peuvent déclarer au service informatique de Rumilly. Celui-ci prend la main sur l’ordinateur de bord à distance pour résoudre la question. Il est aussi possible de déclarer des constats en ligne, de scanner un rapport suite au passage aux Mines. L’idée est de pouvoir transmettre le plus simplement possible tous les documents de la route à l’entreprise, avec une gestion centrale des échanges, des données. Par exemple, nous avons scanné toutes les cartes grises et vertes, pour que les chauffeurs puissent les retrouver par ce biais.

Carole Dupessey : Cette traçabilité nourrie à la fois la considération du personnel roulant et nos statistiques d’entretien. Le digital présente de nombreux avantages sur les processus papier. Pour améliorer encore l’efficacité du suivi, nous étudions la possibilité de faire un lien entre cette application et notre logiciel de parc GPI.

Audreyne Copet

 

Concernant l’outil de communication d’entreprise, comment faites-vous vivre les échanges entre salariés ?

Audreyne Copet : Toujours à destination des conducteurs, nous avons créé une fonction trafic pour déclarer tout problème de circulation aux confrères, ou encore mentionner un bon resto, un client qui donne accès à des douches, et autres petits tuyaux.

Dans la partie réseau social, on trouve beaucoup de photos de camions, de paysages, des discussions diverses. On peut discuter avec une personne ou un groupe comme sur Whatsapp. Par ailleurs, un collaborateur peut relayer une campagne de communication Dupessey ou de recrutement sur son espace personnel Facebook par exemple.

Notre groupe a également mis en place une fonction de cooptation, ou recrutement collaboratif. Si un salarié est embauché suite à un parrainage, notre salarié touche une prime.

Enfin, l’application comporte un outil de sondage, encore peu utilisé jusqu’à présent.

 

Pensez-vous a des évolutions ultérieures ?

Dans les mois et les années qui viennent, nous réfléchissons à enrichir la partie métier de cette application, dont les évolutions vont de paire avec des restructurations internes, notamment au niveau de l’atelier. Il s’agit d’aller plus loin sur la partie matérielle, avec du reporting automatique, une gestion centralisée des pièces de rechange, ainsi que des  transmissions d’informations avec l’exploitation… Mais il est tout aussi essentiel de poursuivre l’accompagnement des personnes dans l’utilisation des fonctions existantes au sein des logiciels GPI Parc et TMS qui ne sont pas toujours exploitées à 100 %.

 

Est-ce que cette application mobile pourrait à terme remplacer votre équipement informatique embarqué ?

Carole Dupessey : Il n’est pas question pour l’instant d’utiliser uniquement une informatique mobile à la place de l’informatique embarquée Transics. Les hommes sont habitués à leurs ordinateurs de bord, et une telle transformation prendrait du temps.

Pour autant, les 320 conducteurs du groupe sont déjà équipés et habitués aux smartphones professionnels, ce qui pourrait faciliter une telle évolution.

 

En complément de l’informatique mobile et des Transics, vous exploitez des rapports techniques issus des boîtiers embarqués Renault Trucks Optifleet. Dans quel dessein ?

L’objectif est d’abord de réduire la consommation. La question est plus que jamais d’actualité. C’est du travail de fond avec les conducteurs. Outre des formations internes, nous collaborons avec Renault Trucks. Le constructeur équipe la totalité de notre flotte diesel (nous  détenons également six véhicules au gaz Iveco). Il reçoit trois fois par an à Vénissieux une quinzaine de conducteurs pour une journée de remise à niveau. La complémentarité des discours entre différents formateurs internes et externes me paraît importante pour un impact maximal. En outre, au cours de cette journée, nous faisons intervenir Michelin, qui fournit une remise à niveau sur l’impact du pneumatique sur la consommation et les leviers possibles de réduction.

 

Concernant les données techniques, comment les exploitez vous pour réduire la consommation ?

Seules les données d’Optifleet sont appréhendées pour la consommation de la flotte Dupessey. L’informatique embarquée Transics n’intervient pas ici. Les conducteurs sont évalués sur leur consommation une fois par mois, les notes étant affichées dans les salles  communes. Nous les appelons alors pour discuter de ces performances et trouver des points d’amélioration. Par exemple, nous faisons continuellement la chasse aux véhicules arrêtés moteur tournant. Certes, l’arrêt est automatique au bout de quatre minutes, mais nous demandons aux chauffeurs d’être vigilant.

En outre, avec Renault Trucks, nous testons différents modèles de puissance de poids lourds sur des parcours réels de la flotte Dupessey, afin de déterminer aussi précisément que possible les consommations opérationnelles. Le transport, c’est de la joaillerie ! Si l’on veut être rentable, il faut jouer sur plusieurs actions et accumuler les résultats. Il faut se remettre en question constamment. Heureusement, les outils informatiques et digitaux facilitent les prises de décision.

Wilfried Maisy

Un groupe familial indépendant

Dupessey&co est un groupe français indépendant de transport et de logistique basé à Rumilly, en Haute-Savoie, et spécialisé dans le transport de boissons. Fondée par Serge Dupessey en 1955, l’entreprise familiale a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 110 millions d’euros en 2020. Elle compte aujourd’hui 550 collaborateurs. Au fil des ans, l’entreprise est passée du statut d’entreprise familiale régionale à celui de groupe multi-activités européen grâce à une diversification réussie, notamment dans :

  • le transport de matières dangereuses (rachat TYM),
  • la logistique (120 000 m2 de stockage au total)
  • le multimodal (20 000 m2 embranché fer à Saint- Quentin-Fallavier)

 À l’international, DUPESSEY&CO est présent en Europe du Sud (Italie, Espagne) et en Europe de l’Est (Bulgarie).

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