Denis Heitz, Directeur Transport France chez FM Logistic : «Nous sommes en constante mutation»

Denis Heitz, Directeur Transport France chez FM Logistic depuis près de quatre ans, et riche de 35 ans de métier dans toutes les strates du TRM, analyse les évolutions technologiques de son groupe familial. Avec un leitmotiv : la gestion de l’information est au cœur de sa stratégie logistique globale et omnicanale.

Le Guide : Dans votre stratégie logisticienne, vous affirmez un positionnement d’« excellence omnicanale ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Denis Heitz : Cela veut dire que nous sommes en train de réussir la révolution nécessaire de notre métier de transporteur logisticien, pour répondre à des problématiques nouvelles, environnementales, urbaines, et surtout, aux attentes des consommateurs, les clients de nos clients. En effet, 20 % des achats s’effectuent déjà par le biais du commerce électronique. Il est probable que nous atteignons les 40 % à moyen terme. L’essor du e-commerce remet en question le schéma classique d’achat d’un produit dans un magasin physique. Les consommateurs sont amenés à utiliser simultanément plusieurs canaux de vente – smartphones, tablettes, ordinateurs et points de vente physique. Ils souhaitent comparer les offres, savoir ce qu’ils consomment, commander depuis leur téléphone, et choisir leur mode de livraison à domicile ou en magasin.

Cette évolution implique tous les circuits de distribution classiques, les industriels, les logisticiens et bien sûr les transporteurs. Ces derniers doivent adapter leurs moyens pour livrer en ville de manière efficace et « propre ».

Quels moyens mettez-vous donc en face de cette demande ?

Chez FM Logistic, nous sommes entrés dans cette démarche de plain-pied avec le service City Login, que nous avons initiée au niveau européen, en commençant par Rome il y a trois ans.

En France, à la fin de l’année 2018, nous aurons déployé 250 véhicules utilitaires à Paris, Lyon, Marseille, Avignon, Annecy, Strasbourg et Colmar. Une centaine de ces utilitaires de 5-6 m³ seront électriques. Ils s’appuieront sur des espaces logistiques urbains (ELU), des centres de stockage de proximité, et des entrepôts périurbains, qui sont indispensables à cette nouvelle organisation de distribution.

Avez-vous déjà défini quelques emplacements stratégiques ?

Dans la région parisienne, nous exploitons un entrepôt de 3000 m² à Ivry-sur-Seine. Nous en ouvrons un second cet été, de 1500 m² à Gennevilliers. Nous avons d’autres projets encore confidentiels, bien sûr. L’idée est aussi de s’appuyer sur les petites et moyennes surfaces de commerce, qui sont les premiers ELU. Ces espaces sont déjà exploités comme points de livraison, mais aussi de collecte. La logistique des retours (gestion des flux provenant du consommateur vers le fabricant), concerne le service après-vente, mais aussi le recyclage, par exemple. Demain, il sera courant de se faire livrer son caddie une fois ses courses effectuées. Tous ces mouvements génèrent des flux de marchandises phénoménaux, en direction des particuliers, des entreprises ou des points relais.

Quels sont vos clients et partenaires dans ce projet ?

Toutes les enseignes poursuivent la même démarche, et l’enjeu est extrêmement stratégique. Disons qu’un grand client nous a demandé de mettre à sa disposition une flotte dédiée en ville. Cela nous a permis de développer une structure autour de ces 250 véhicules. Cela dit, la deuxième étape sera de mutualiser et d’optimiser encore et encore les flux. Il s’agit d’une condition indispensable à des livraisons en ville respectueuses de l’environnement urbain. La maîtrise des volumes est un élément clé de ce dessein.

S’agit-il d’une flotte acquise ou de sous-traitance ?

Essentiellement de sous-traitance maîtrisée, mais nous sommes susceptibles d’augmenter notre flotte propre pour répondre à des demandes spécifiques. Nous avons d’ailleurs récemment embauché une dizaine de conducteurs pour sécuriser les flux de l’un de nos grands comptes.

Pour démarrer de tels projets et investissements, mieux vaut se regrouper…

En effet, la collaboration entre un transporteur logisticien, un industriel ou un distributeur, associés à des fournisseurs de matériels et d’informatique, est essentiel pour faire aboutir une telle révolution logistique. Les besoins se rencontrent, et les réseaux se forment. Pour déployer des véhicules au gaz, en particulier, on ne pourra rien faire sans accompagnement du client, qui devra porter financièrement les stations. Dans cette voie, nous allons commencer à exploiter entre 6 et 10 véhicules au gaz en 2019 : des poids lourds Iveco qui s’appuieront sur des points d’approvisionnement situées à Crépy-en-Valois (60) et à Ludres (54).

La clé du succès dépend aussi de la fluidité des informations intégrées d’une application à l’autre…

La maîtrise des flux passe par celle des données. En fait, de la production à la vente jusqu’aux livraisons, tout est échange d’information. C’est pourquoi la mutualisation demande des outils informatiques capables d’organiser la cohabitation et l’acheminement des marchandises. Ces logiciels doivent être interfacés avec notre TMS (My SCM, un logiciel maison), lui-même relié aux ERP de nos clients. Cela nous amène à aller de plus en plus loin dans le pilotage des flux pour le compte de nos clients, et dans des solutions sur mesure. Car c’est aussi une évolution essentielle de notre métier : il n’y a pas de réponse unique à un besoin de distribution multicanale, mais une combinaison de réponses sectorielles, de flottes propres et d’affrétés, et de plusieurs solutions informatiques.

On parle en effet de plus en plus de “tour de contrôle” ou de “réponse logistique globale”. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ?

Cela signifie que nous administrons l’ensemble des flux de distribution pour le compte de notre client, en gérant de multiples canaux. Qu’il s’agisse de palettes ou de colis, de livraison B2B ou B2C, de circulation en ville ou dans des zones moins denses, nous nous occupons du SAV, de l’administration des ventes, etc. Et surtout, nous optimisons l’ensemble tout en apportant une traçabilité des flux. Tout cela permet d’opérer une gestion des approvisionnements (GPA) — qui vise à optimiser l’efficacité de la chaîne, à diminuer les stocks, tout en améliorant le taux de service. Cette optimisation s’inscrit dans une démarche de flux tirés par la demande (sortie des caisses, prévisions, état des stocks et journaux des mouvements, etc.).

Pour le compte d’un client international en cosmétique, par exemple, nous nous chargeons de toutes les opérations — de la conception de la commande jusqu’à la facturation, en passant par les opérations de douane. De plus en plus d’industriels et de distributeurs suivent cette tendance d’externalisation totale de leur supply chain.

La mutualisation des flux industriels à partir d’entrepôts spécialisés, multi clients, et à destination de la grande distribution, est l’une des spécialités de FM Logistic. Comment progressez-vous dans cette optimisation, dans une logique multicanale ?

Par une expertise informatique. Actuellement, nous faisons des essais avec Urbans, une start-up qui propose une solution de suivi en temps réel des livraisons, associée à de l’optimisation d’itinéraire et des chargements. Nous allons probablement procéder à d’autres tests d’outils mobiles comparables, ouverts, et accessibles via Internet (mode cloud). Car encore une fois, un transporteur doit pouvoir proposer une palette de solutions logicielles adaptées à différents besoins et environnements. Nous appliquons la même logique au camion, qui est aussi un outil de production. Dans une démarche de transport plus respectueuse de l’environnement, mais aussi viable économiquement, il nous faudra être de plus en plus agiles, flexibles. Nous exploiterons des véhicules au gaz, à l’électricité, à l’hydrogène, mais aussi au diesel. Car en aparté, des progrès phénoménaux ont été accomplis en termes d’émissions polluantes sur cette énergie, ce qui est trop peu connu du grand public et des politiques.

Dans cette optique de gestion globale des flux, les passerelles informatiques se montent aussi avec des logiciels de gestion de l’entreposage (WMS)…

En effet, à ce niveau d’optimisation, il est impossible de travailler sans une interconnexion globale des outils. Là aussi, nous travaillons avec des logiciels adaptés à chaque client : Reflex, Infolog, etc. L’interconnexion entre un TMS (qui récupère les données de l’informatique embarquée ou d’un smartphone) et un WMS fait que ce dernier connaît aussi en temps réel les positions des camions venant charger et décharger. Une heure avant leur arrivée, il leur attribue un numéro de quai. Au poste de garde, les poids lourds sont reconnus à leur approche, les barrières se lèvent automatiquement, ce qui permet de réduire au maximum l’attente des conducteurs. Ces derniers peuvent vérifier rapidement sur leur smartphone l’adéquation des commandes et des marchandises chargées. Dans ce domaine, nous allons vers la commande prédictive, ou l’intelligence artificielle adaptée à l’entreposage… mais pour l’heure, notre site de Crépy-en-Valois, dont les différents entrepôts totalisent une surface de 170 000 m², illustre bien ces dernières évolutions.

Depuis 2015, FM Logistic est aussi le premier client de Shippeo, une plate-forme de suivi des livraisons qui fait le lien entre un chargeur ou un organisateur et ses transporteurs sous-traitants. La plate-forme aspire les données de l’application mobile Shippeo, accessible sur smartphone.

Shippeo représente un unique point de réception et d’envoi des informations de traçabilité. Elle fait le lien avec 10 ou 200 transporteurs sous-traitants, quand auparavant, il aurait fallu récupérer les données de chacun. L’optimisation est donc significative. Si nécessaire, nous n’hésitons pas à fournir à nos frais des smartphones à des affrétés qui ne seraient pas du tout équipés d’informatique mobile. Une cinquantaine de sous-traitants dédiés à FM sont dans ce cas.

Précisons qu’avec Shippeo, nous sommes toujours en cours de réflexion, en mode projet, de manière à définir des solutions pertinentes à différentes problématiques de nos clients.

Les affrétés en question ne sont-ils pas réticents quant à la géolocalisation de leurs véhicules, et donc des chauffeurs ?

C’est un débat qui a eu lieu, mais qui est déjà moins prégnant en cette fin d’année 2018. Tout le monde a une adresse Google, un smartphone et un GPS actif dans sa poche. Le traçage des livraisons représente peu de chose comparé à la masse des informations personnelles « divulguées » sur tous les réseaux sociaux. D’autant qu’aujourd’hui, le nouveau règlement européen pose des limites nécessaires à la transmission et à la conservation des données.

Et pour revenir à Shippeo, il existe d’autres plate-forme similaires comme GedMouv. De nouveaux sites verront probablement le jour. L’essentiel est que ces applications puissent communiquer entre elles, et avec les logiciels de transport, afin de récupérer les informations nécessaires à nos clients. En un mot, il faut être ouvert.

Pour finir, quel est à votre sens, la principale innovation technologique de ces dernières années dans le TRM ?

Sans aucun doute, le smartphone et les applications associées. Nous pouvons aussi constater une accélération de l’innovation. Il est difficile de dire où nous en serons dans cinq ans, ou même dans deux ans. Les stratégies de long terme n’ont plus beaucoup de sens, quand les technologies évoluent aussi vite. Quand je regarde le chemin parcouru depuis à peine quatre ans chez FM Logistic, avec le recul de 35 années dans le transport, cela me donne le vertige. J’ai parfois envisagé de changer de carrière, mais finalement, je suis toujours là, car les personnes sont attachantes, et ce métier est de plus en plus passionnant !

Wilfried Maisy

 

 

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