Christelle Bretaudeau : « Pour un projet informatique réussi et durable »

Christelle Bretaudeau est consultante et formatrice spécialisée dans le transport routier de marchandises. Son expertise : la performance, dans les achats, le contrôle de gestion, l’organisation, l’informatique métier, et la gestion commerciale.

Le Guide : Depuis 15 ans, vous accompagnez des PME du TRM dans leurs achats de solutions embarquées, logiciels de transport (TMS) et d’entreposage, etc. Vous constatez une sous-utilisation chronique de ces outils. Expliquez-nous cela.

Christelle Bretaudeau : La quasi-totalité des transporteurs ont un TMS, mais beaucoup ne l’utilisent que pour facturer. Parallèlement, l’informatique embarquée leur sert essentiellement à géolocaliser les poids lourds. En complément, on trouve souvent un logiciel de pré-paie cantonné au stockage des fichiers légaux, ainsi qu’un logiciel de paie, ces derniers n’étant pas toujours interfacés. Résultat : une foison de tableaux excel à remplir ; des ressaisis multiples ; et des services désorganisés. Le plus visible étant la facturation, dont le rôle n’est pas de facturer au sens de l’émission d’une facture conforme et dans les délais, mais qui saisit des commandes ou au moins les contrôle. In fine, on est loin du zéro papier, et la facturation prend du retard. D’où un sentiment de déception chez les chefs d’entreprise, qui peut se muer en une certaine défiance informatique.

Comment remédier à cela selon vous ?

Par une gestion globale, dont les objectifs sont clairs : placer le projet au cœur de l’entreprise ; faire le bon choix d’éditeurs dès le départ ; budgétiser l’ensemble ; inscrire dans la durée la relation avec ses fournisseurs, et livrer des solutions totalement interfacées entre elles.

Le transporteur doit poser en face des sommes investies un retour sur investissement (ROI)…

Il s’agit en effet d’identifier toutes les sources de gains potentiels. Avec en premier lieu des ROI de temps liés à la suppression de tâches répétitives. Ce sont des gains de productivité. Mais il doit y avoir aussi des gains de rentabilité par une meilleure lisibilité de ses coûts de revient, comme des gains financiers par l’abaissement de postes de charges : le gasoil par le travail sur les consommations et l’éco conduite, les kilomètres à vides…. L’ensemble des processus de travail de l’entreprise doivent devenir plus efficaces, plus fluides. L’objectif à terme étant une croissance des volumes transportés, et donc du chiffre d’affaires, à moyens administratifs constants.

Quelles sont les étapes du processus ?

Un audit complet de son organisation est la 1ère étape d’un projet. Il permet d’interroger les méthodes de travail de tous les services (et non pas que de l’exploitation), d’identifier les besoins réels en questionnant sur le « pourquoi faites-vous cela ? » et projeter les nouveaux processus de travail qui devront être mis en œuvre au moment du déploiement de l’outil. A cette occasion, les fiches de fonction du personnel sont souvent remaniées, et assorties d’objectifs, une fois les outils informatiques déployés.

Les bases du cahier des charges posées, l’équipe projet se dessine. Les personnes auditées deviennent souvent des utilisateurs de référence.

De quelle manière rédige-t-on ensuite un cahier des charges ?

Il est important de définir deux niveaux d’exigences : les besoins immédiats et actuels, et les futures demandes projetées dans la nouvelle organisation. Ce travail permettra de comparer les périmètres fonctionnels de chaque prestataire. Complété d’une analyse des réponses, et d’une soutenance face à l’équipe projet pour les solutions les plus pertinentes, cette méthode de sélection aboutit à un choix objectif. Lors de cet appel d’offre, un volet tarifaire est inclus. S’il ne doit pas être l’élément déterminant du choix, il reste une donnée à prendre en compte pour constituer son budget prévisionnel, qui couvrira 100% du périmètre, sur plusieurs années.

Une fois le choix effectué, comment contractualiser avec les éditeurs ?

Le contrat est une étape fastidieuse mais essentielle. Trop souvent limité aux contrats de maintenance, standard et incomplet, le contrat d’intégration est le document central. Ce document va régir la relation entre le client et les différents éditeurs, sachant qu’un système d’information performant repose sur de bonnes interfaces. Cela implique une collaboration étroite entre les intervenants, qu’il s’agit de formaliser. Le contrat a pour vocation de rappeler les enjeux stratégiques du projet pour le client, les principaux jalons, les droits et les devoirs de chaque partie, les conditions économiques. Il s’articule autour de plusieurs annexes comme les analyses fonctionnelles, le planning, le contrat de licences, le contrat de maintenance. Un engagement de résultat est alors exigé. Il vise à « livrer ce que l’on attend et à la date fixée ». Le client s’engage lui aussi à ne pas faire varier sa demande au gré des mois passants.

On entre ensuite dans le déploiement effectif des solutions…

L’éditeur retenu, il faut le confronter à la réalité fonctionnelle de la solution. Aussi appelée « Mise en adéquation », cette étude permet d’identifier les paramétrages à réaliser dans la solution ; de structurer des matrices de qualification et de reprise de données, de spécifier les développements nécessaires et de les prioriser. Le fournisseur a alors toutes les informations nécessaires pour mesurer précisément le temps nécessaire à la réalisation des développements. Un planning des livrables et des jalons est élaboré. Ces deux annexes sont les piliers de l’engagement de résultat.

Par la suite, le transporteur va débuter concrètement son projet par une tâche ingrate: le remplissage de matrices de données ou de listes d’informations à qualifier. L’intégration en masse des données nécessite des tableaux normés. Ce travail est très structurant pour une entreprise. Elle initie un travail collaboratif en vue d’une base de donnée partagée, au contraire de connaissances purement individuelles. Ces matrices seront intégrées dans une base de tests paramétrée selon les exigences du client.

Malgré tous ces préparatifs, on n’est jamais à l’abri d’un bug…

Il existe toujours des erreurs dans un processus. Les interfaces entre chaque éditeur peuvent être complexes à mettre en place. Il faut prendre le temps de tester et de corriger les choses.

Il faut aussi prévoir un délai de formation des personnes…

Chaque utilisateur doit être formé aux seules fonctionnalités qui lui sont utiles pour la réalisation de sa fiche de fonction. La formation sera illustrée et documentée dans un manuel rédigé par le client, et non par l’éditeur — dont la seule mission est de fournir les bonnes copies d’écran. Le chef de projet décrit le travail de ses collègues selon les processus personnalisés de l’entreprise. Il contextualise la documentation en racontant une histoire ; celle du quotidien des utilisateurs finaux.
Le formateur, salarié de l’éditeur pour les 1ère sessions, connait alors parfaitement son déroulé pour chaque groupe de stagiaires. Il peut animer de manière pertinente son programme. Les personnes formées sont en capacité de retenir et d’assimiler plus vite un nombre d’informations limité et qui leur semble important pour leur travail au quotidien.

Quid du rôle des conducteurs ?

Dans ce nouveau SI, les informations du retour de tournée remontent en temps réel, grâce aux bonnes saisies des conducteurs sur leur équipement embarqué. Le personnel roulant est donc au cœur du système d’information. Il est essentiel de lui expliquer tous les enjeux du projet, et ne pas se limiter à une simple manipulation d’un écran ou d’une dalle mobile. À défaut, l’impact sur les coût de revient peut être lourd.

Combien de temps faut-il prévoir au total ?

Une fois la migration informatique achevée, le projet n’est pas tout à fait terminé… des développements ont été positionnés en priorité 2 ou 3, des informations secondaires n’ont pas pu être collectées à temps, des arbitrages ont peut être été fait pour tenir le jalon… Autant de raisons qui font que le projet s’étale sur plusieurs années (2 à 3 ans selon le périmètre). Les 1ers livrables sont assez basiques. Ils couvrent les besoins immédiats du client. Ce sont donc les livrables des lots suivants qui sont les plus porteurs de productivité. Il est important d’y consacrer la même attention et la même énergie. Et finalement, après un tel travail, il n’est plus envisageable de laisser les solutions devenir obsolètes. Des cadres contractuels existent pour encadrer une relation qui doit rester constructive, structurée et à l’écoute permanente des besoins des utilisateurs, toujours en mode projet.

Propos recueillis par Wilfried Maisy

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