La justice belge s’intéresse depuis plusieurs mois à l’un des plus grands groupes de transport qui a tissé sa toile en Europe et jusqu’en Tunisie. Depuis 48 heures, le patron, Roland Jost dort à la prison de Marche-en-Famenne, en province de Luxembourg. C’est un choc pour les 2000 employés de cette entreprise créée en 1957 par Nicolaus Jost qui possède alors une vingtaine de camions et est spécialisé dans le transport du bois et de produits sidérurgiques, en provenance et à destination de l’Allemagne. Cette société fut d’abord située à Bullange pour déménager plus tard à Waimes (Belgique). Roland Jost reprend la tête de l’entreprise familiale à la suite du décès du fondateur en poursuivant un développement tous azimuts par croissance externe en profitant aussi de l’ouverture européenne.
Roland Jost, à droite sur la photo, lors d’une remise de clés de nouveaux véhicules Renault Trucks
Roland Jost et plusieurs responsables de l’entreprise sont soupçonnés de fraude sociale et dumping. L’entreprise est accusée de fraudes massive en profitant d’implantations de filiales en Pologne, Roumanie et en Slovaquie qui permettent d’embaucher des conducteurs locaux sans les déclarer en Belgique. D’après le quotidien belge La Libre Belgique, Roland Jost est visé par neuf chefs d’inculpation, blanchiment, faux et usage de faux social, dirigeant d’une organisation criminelle, traite d’êtres humains, escroquerie en droit pénal social, absence de déclaration immédiate à l’emploi, déclarations inexactes ou incomplètes concernant les cotisations sociales, non-paiement des cotisations et défaut de paiement de la rémunération.
Une flotte de 4300 cartes grises dont 3000 semi-remorques
Jost est également implanté au Luxembourg. « Dès l’année passée, l’Inspection du Travail et des Mines (ITM) avait déposé une plainte auprès du Parquet de Diekirch pour faux décomptes de salaires. Cette enquête a été tenue en suspens afin de ne pas entraver les perquisitions de grande envergure exécutées hier » a expliqué mercredi la justice luxembourgeoise. Les perquisitions dans les locaux au Luxembourg comme en Belgique, à Stavelot, Jalhay, Stoumont, Chaudfontaine, Waimes, Herstal, Herve, Grâce-Hollogne, Nivelles, Wavre-Sainte-Catherine, Anvers, Kontich, Zaventem et Ypres ainsi qu’en Roumanie et en Slovaquie.
Dans un court communiqué, l’entreprise assure collaborer totalement avec la justice « Nous faisons actuellement l’objet de contrôles sur tous nos sites. Nous sommes accusés à tort de dumping social, comme beaucoup de sociétés de transport avant nous, en Belgique et au Luxembourg. Nous sommes parfaitement en ordre à tous les niveaux. Il s’agit donc d’une collaboration totale avec les autorités. Le travail est presté normalement et le service à nos clients est assuré à 100%. » peut-on lire sur le site de Jost Group qui réalise 270 millions d’euros de chiffre d’affaires avec 2000 employés, 1300 moteurs et 3000 semi-remorques. L’entreprise, qui a connu ces dernières années, une croissance très rapide, exploite aussi 300 000 m² d’entrepôts.
L’entreprise est suspectée de faire du dumping social et 1100 conducteurs venant de plusieurs pays de l’Est européen seraient concernés. Non seulement le manque à gagner pour la sécurité sociale belge s’élèverait à 55 millions d’euros entre 2014 et 2016 mais les autorités dénoncent des conditions d’emploi qui inquiètent les autorités judiciaires qui déclarent au quotidien La Libre « ces personnes pourraient prétendre à une rémunération largement supérieure à celle qui leur est versée. Les conditions d’emploi extrêmement difficiles, logement dans le camion pendant des périodes de quatre à six semaines, temps de travail très long, des travailleurs roumains font penser à des infractions liées à la traite des êtres humains”.
Pendant ce temps, le patronat belge comme luxembourgeois dénoncent des entreprises qui n’hésitent pas à créer des filiales en Slovaquie ou en Roumanie avant de faire rouler en Belgique et depuis la Belgique des conducteurs sous contrats de ces pays. A la suite des perquisitions déjà menées au mois de mars, l’Union belge du transport (UBT) a mené son enquête et déclare “Par exemple, une heure de recherches sur le site internet du registre de commerce de Bratislava nous a suffi pour découvrir 25 firmes de transport belges logées à la même adresse, c’est-à-dire à la même boîte aux lettres. Celui qui réclame encore plus de preuves ne veut tout simplement pas voir la réalité. Nous attendons maintenant de voir ce que les services d’inspection feront de la liste que nous leur avons transmise ».
Ce qui arrive aujourd’hui à Jost Group pourrait avoir d’autres suites. En effet, depuis le mois de mars, trois autres entreprises de transport importantes ont reçu la visite de la police judiciaire dans le cadre d’une enquête sur une fraude aux cotisations sociales. Il s’agit de Van Dievel, Rosantra et Maes « qui ont également installé des entreprises boîtes aux lettres en Europe de l’Est, fait rouler des chauffeurs de l’Europe de l’Est en Europe de l’Ouest et payé pour ces prestations non pas les salaires belges, mais le salaire en vigueur en Europe de l’Est. » poursuit le syndicat FGTB-UBT qui donne des précisions que la façon d’opérer en demandant davantage d’efficacité dans les contrôles. Il semble qu’il ait été entendu.
En attendant, le patronat, comme Groupement Transport au Luxembourg (GT) se distancie « Nous dénonçons toute forme de non-respect des règlements et lois en vigueur au Luxembourg et dans les pays voisins. Le GT signale que le secteur du transport, qui présente au Grand-Duché un effectif total d’environ 7.000 salariés, est un élément-clé de notre économie nationale et tient à ce que ses membres exécutent leur métier de manière professionnelle. Aucune société en règle ne craint des contrôles effectués par les autorités sur route ou en entreprise ceux-ci servant à assurer la sécurité routière et à préserver la concurrence loyale entre acteurs. »